Notre fille cadette a fêté ses 2 ans il y a quelques semaines.
Voici quelques mots très décousus, très maladroits peut-être, sur ces deux années en sa compagnie.
Le plus dur concernant sa trisomie, à ce jour, reste l'annonce par les docteurs de la suspicion (forte) puis l'attente de la confirmation, 1 semaine plus tard. Notre fille est née en fin de soirée, la pédiatre a annoncé à ma compagne le lendemain matin, alors que je n'étais pas présent, qu'elle était trisomique, sans émettre de doutes, sans prendre de gants, ne restant que quelques minutes. Puis, elle nous a évité deux jours durant. Il paraît que c'est une "stratégie" pour que les parents puissent digérer "seuls" la nouvelle. C'est néanmoins très violent, et même si je conçois qu'il n'y a probablement pas de façon de faire qui ménage la famille, cela reste un moment auquel je préfère ne pas repenser.
Cela nous a pris de court, pour faire dans la litote: plus honnêtement, "avoir l'impression que votre monde s'écroule" est une expression décrivant admirablement bien ce que j'ai ressenti. Les probabilités du tri-test étaient de notre côté et on ne nous avait pas conseillé vivement l'amniosynthèse (la probabilité de faire une fausse couche étant, pour faire simple, supérieure à la probabilité que l'enfant soit porteur de T21), que nous n'avions donc pas vraiment envisagée. Le seul signe potentiellement "inquiétant" a posteriori, était la taille et le poids du bébé, mais elles étaient équivalentes à celle de notre première fille tout au long de la grossesse. Pendant quelques jours, je pense que nous n'avons pas voulu y croire: les "symptômes" physiques nous semblaient pouvoir tous s'expliquer autrement, simplement.
Les résultats du test génétique confirmant le diagnostic ont ensuite pris une bonne semaine à arriver: je me sentais alors un peu comme on peut se sentir 5 minutes avant de débuter un examen ou un concours, sauf que cela a duré 1 semaine entière, en permanence. Je ne pleure pas beaucoup habituellement mais ce fut le cas à cette période. Il semble d'ailleurs que depuis cet épisode, ma sensibilité globale se soit accrue.
La confirmation du diagnostic, quelque part, a été une libération. Ok, maintenant on sait, ça va être dur, mais on va pouvoir avancer. On va devoir avancer. Je me demande également si être informé après la naissance plutôt qu'avant n'a pas d'une certaine façon simplifié notre existence: nous n'avons jamais eu à discuter de savoir ce que l'on allait faire, nous n'avons pas eu le choix. Cette discussion pendant la grossesse, j'imagine, peut être extrêmement complexe, tendue, et altérer durablement et profondément la dynamique du couple si l'on est, au fond, en désaccord.
Quelques temps plus tard, j'ai lu la très belle bande dessinée de F. Toulmé, qui raconte une histoire similaire à la nôtre. Néanmoins, je n'ai pas ressenti les choses comme lui (même si j'ai pu constater que ses sentiments avaient été éprouvés par un certain nombre de parents d'enfants trisomiques au cours des premières semaines ou premiers mois). Si je racontais notre histoire, je ne l'intitulerais pas "ce n'est pas toi que j'attendais". Plutôt, et c'était à la fois égoïstement, pour nous, mais aussi en pensant à elle, à sa vie: "c'est toi que j'attendais même si j'aurais préféré que tu n'aies pas le syndrome de Down".
Personnellement, je n'ai pas trouvé difficile de l'aimer.
Par contre, j'ai eu des moments de doute et d'auto-apitoiement: premièrement, notre vie "tranquille" est foutue. Deuxièmement, comment va-t-on faire, comment va-t-on s'en sortir? Mais, à chacun de ces moments, j'ai trouvé de la force en observant ma compagne, une force tranquille, déterminée, qui donne l'impression de tout maîtriser naturellement.
Et puis, après deux ans, je m'aperçois que finalement, s'occuper de notre fille, l'aimer, l'élever, gérer son quotidien et le nôtre avec, ce n'est pas beaucoup plus compliqué que pour n'importe quel autre enfant: donc, oui, c'est compliqué quand même, mais c'est aussi beaucoup de bonheur chaque jour. Je dois dire aussi que nous sommes quelque part chanceux puisqu'elle n'a pour l'instant eu aucun pépin de santé souvent associé à la trisomie (trouble typhoïdiens, cardiaques...). Néanmoins, son suivi médical est plus important que pour notre autre fille, et cela nécessite de l'organisation. Voila, on apprend à s'organiser autour de ses besoins, à repenser quelques priorités, on essaie de ne pas négliger notre aînée, mais notre vie n'a pour l'instant pas radicalement changé. Bien sûr, mon métier notamment offre une certaine latitude horaire extrêmement appréciable pour ce genre de situations. Nous en avons aussi tous deux parlé assez largement dans notre réseau professionnel: tout le monde a été extrêmement gentil et compréhensif.
On se doute que ça risque de se complexifier avec le temps (cette année, par exemple, nous allons devoir gérer trois rendez-vous hebdomadaires chez l'orthophoniste et la psychomotricienne et anticiper la rentrée scolaire avec les dossiers pour les demandes d'auxiliaire de vie scolaire), mais on essaie, comme le disent les sportifs professionnels, de prendre les matchs un par un. Finalement, le plus dur c'est peut-être ça: devoir beaucoup anticiper (la crèche, l'école, les soins) sans savoir de quoi demain sera fait, sans savoir quelle sera son évolution. Mais n'ayez pas peur.
A ce jour, tout va bien: notre petite fille est très sociable tant avec les adultes qu'avec les enfants. Elle sourit beaucoup de façon très communicative, elle est de bonne composition mais avec du caractère; de façon très étrange les enfants plus grands qu'elle l'adorent et veulent s'occuper d'elle; elle est sur le point de marcher (de fait, si elle osait je pense qu'elle y arriverait); elle communique facilement et sait se faire comprendre sur plein de sujets (le langage des signes adapté aux enfants, Makaton, a beaucoup aidé et libéré sa communication, non seulement par les signes mais orale).
Quelques mots sur le corps médical enfin: peut-être est-ce parce que la trisomie, au fond, est un handicap bien "connu", mais pour l'instant, hormis donc à mon sens à la maternité, nous n'avons eu à faire qu'à des professionnels exceptionnels, dans l'empathie et pédagogues. Ils nous aident, beaucoup, nous orientent, et aident notre fille, que ce soit le pédiatre, le neuro-pédiatre, la kiné, l'orthophoniste, la psychomotricienne, que ce soit en libéral, au sein de fondations, associations ou de structure comme les CAMSP. Si l'on rajoute la famille, les amis, les collègues, et même des inconnus, nous n'avons à ce jour jamais eu à faire face à questions oiseuses ou remarques déplacées: au contraire, nous avons reçu énormément d'aide et autant d'amour, merci à tous*.
* je ne veux pas dénaturer ce texte en l'amendant trop mais il faut souligner aussi qu'on a reçu beaucoup d'aide de la part de l'Etat, je pense que c'est important de le dire: carte d'invalidité, 100% sécu, demi-part fiscale, structures médicales spécialisées gratuites, complément salarial pour moi, l'AJPP pour ma compagne... nous acceptons avec gratitude tout ce que l'on nous donne.