Silence radio depuis quelques jours pour plusieurs raisons, la principale étant beaucoup de soucis et de temps perdu pour des problèmes de visa du nouveau doctorant.
Parce que bon, il faut parler des conditions de travail qui se dégradent pour les statutaires, mais on peut aussi parler de l'accueil des précaires, surtout quand ils n'ont pas la chance d'être français.
Hier, plein d'espoir, je l'ai accompagné à la Préfecture de Police, et jusqu'à environ 10h30 j'ai vraiment cru qu'on partirait avec le fameux "récépissé" libératoire (en fait, qui donne 3 mois de sursis avant le stress d'après, mais qui quand même permet d'être payé, couvert etc).
Hélas, le xème examen du dossier par le xème préposé a révélé l'existence d'un problème insoluble dont personne ne s'était rendu compte auparavant, à une semaine de l'expiration du titre de séjour actuel du doctorant.
La seule solution qu'on propose alors, tout naturellement, est que le doctorant retourne dans son pays pour refaire une demande de là-bas ("comme ça, c'est sûr que ça va marcher"). Les gens, par ailleurs globalement plutôt gentils mais quand même très centrés sur le "papier" plus que sur l'"humain" (sans doute une déformation professionnelle pour tenir le coup), ne semblent pas vraiment se rendre compte qu'ils évoquent un solution à 2k€ et typiquement 3 à 6 mois de retard, pour quelqu'un qui du coup sera sans revenus.
Du coup, on nous propose une alternative qui est de demander par courrier la bienveillance du chef du bureau y, dont on ne saura jamais le nom et dont on nous explique qu'on ne peut pas le contacter comme ça mon bon monsieur (question bête de ma part: "vu qu'on est là et qu'on a tous les papiers, ça serait pas plus simple d'aller lui parler directement?" "mais monsieur il s'agit d'un CHEF DE SERVICE!!" "pardon, suis-je bête, comment ai-je pu oser?").
Ma journée, de 08h30 à 16h30, a donc été passée à la Préfecture le matin (en gros 3h de présence pour 45 minutes d'entretiens maximum), puis a écrire des lettres, passer des coups de fil, et courir partout pour essayer de faire ce qui était en mon pouvoir (c'est à dire finalement très peu) pour débloquer la situation. A 17h30, complètement déprimé (je ne peux qu'imaginer l'état du doctorant...), je suis rentré chez moi. Ce n'est pas le plus important, mais je ne peux m'empêcher de penser que ce temps perdu pour moi (et pour tous mes collègues dans la même situation), c'est aussi un peu la collectivité qui jette l'argent par les fenêtres (à moins que l'on ne m'explique qu'aller à la Préfecture et apprendre le droit concernant le séjour des étrangers sur notre sol ne fasse partie des missions pour lesquelles on m'a recruté).
Quelques remarques générales, propres à beaucoup d'administrations mais probablement exacerbées ici dans la mesure où l'on est souvent face à des cas graves du point de vue de l'humain.
- Les individus sont comme je l'ai dit plutôt sympathiques et semblent faire de leur mieux, mais la machine est impitoyable. La (dé)responsabilisation est également problématique: il est impossible de connaître le nom de son interlocuteur. Il n'est écrit nulle part (tout le monde est appelé par sa fonction), et même quand on le demande on ne vous le donne pas. Nous avons réussi à obtenir un prénom. Idem pour les numéros de téléphone. Les gens veulent bien vous aider, mais surtout sans s'engager à l'écrit (les écrits restent), et parfois même cela se fait comme à l'abri des oreilles indiscrètes ("on va sortir du bureau et discuter dans le couloir ce sera mieux").
- On voit bien que soit les procédures sont imbittables, soit les personnels sont mal formés, soit elles évoluent tellement souvent qu'ils n'arrivent pas à rester à jour. Qu'on se rende compte après 2 mois de procédure et 2 visites à la Préfecture que dans ce cas de figure, elle n'aurait jamais dû être entamée, ce n'est quand même pas normal. Que, selon le préposé, on ait des sons de cloches totalement différents, non plus. Que toutes les 5 minutes on nous dise "attendez, je vais demander à machin, qui va appeler truc, qui va aller voir muche et on aura la réponse", me semble assez symbolique.
- Le corollaire de tout ça, c'est qu'on te propose comme solution de demander au grand chef de t'accorder un passe-droit en expliquant ton problème, et que ça ne semble choquer personne que la solution a un problème administratif soit que le responsable décide de lui-même qu'il n'y a plus de problèmes.
Du coup, de frustration, j'ai écrit un bref document google doc relatant cette histoire et les autres qui ont touché des personnes de notre équipe. Pour l'instant, je pense qu'en 5 ans, un cas sur 2 de recrutements d'étrangers a posé des problèmes. Vous me direz, cyniquement, que le plus simple, ce serait de recruter des français ou à défaut des européens. Après, pour prendre un exemple concret, sur nos deux derniers postes d'ATER, le taux de candidatures européennes était typiquement 10%. C'est quand même plus élevé pour d'autres types de postes, mais bon, tout compris si on dit qu'1 candidature sur 2 est d'origine asiatique, africaine ou sud-américaine. Il est assez logique que les recrutements, en moyenne, suivent un ratio similaire.
Le problème, si j'ose dire, ici est que l'étudiant concerné ne vient pas du Maghreb ou du Moyen-Orient: il n'est donc pas "habitué" (triste à dire, mais le précédent post-doc, dont j'avais raconté quelques problèmes ici, m'expliquait "oh, être sans-papier 1 ou 2 mois tu sais c'est normal"). Bref, je crains de plus en plus qu'il n'abandonne la thèse.
Si vous souhaitez alimenter ce document avec les problèmes que vous avez directement (en tant qu'étranger vous-même) ou indirectement (en tant que responsable scientifique ou collègue proche), n'hésitez pas. Pour l'instant, le document est lu et partagé, mais le succès d'un point de vue écriture est faible...
https://docs.google.com/document/d/1cUAqxQ4xkzJX1liZCVVLkrU15ITqm71YTxH7BzzVvtc/edit?pli=1