Quelques mots (énervés) rapides suite à une petite vexation récente.
Après avoir écrit et déposé un projet pour une bourse ministère, l'avoir défendu, avoir fait des compromis, avoir été sélectionné, avoir auditionné puis recruté le doctorant, bataillé pour qu'il ne nous claque pas entre les doigts alors qu'on lui demandait toutes les 2 semaines de remplir 10 pages de documents ou de renvoyer pour la 6ème fois sous 48h (par mail) son nom, son prénom, et son adresse mail tout en lui expliquant qu'il ne signerait pas son contrat avant le 1er octobre, bref, après tout ça, la secrétaire de l'école doctorale, suite à un échange de mails, m'écrit "ah mais vous faites partie de l'encadrement aussi, faut que je vous rajoute alors?".
L'explication, pour ceux qui n'ont pas saisi, est que je n'ai pas la HDR. Que j'ai beau avoir conçu le projet, qu'il ait été jugé assez bon pour être sélectionné (peut-être pour des raisons discutables, mais finalement pas plus que celles pour lesquelles d'autres projets sont rejetés), on ne m'estime pas capable d'encadrer un étudiant sans un chaperon. Et que, pour l'administration (sans blâmer la dite secrétaire qui ne fait que refléter la perception commune), c'est ce chaperon qui est le vrai boss, le vrai smartass, tandis que moi je ne suis qu'un petit puceau de la science qui 10 ans plus tard a toujours besoin qu'on lui explique la vie. Dans certaines écoles doctorales, on estime même que le directeur HDR ne peut pas être à moins de 50% de taux d'encadrement, même si dans la réalité tout le monde sait que les prête-noms, ça existe, et que leur contribution consiste à voir 3 fois le thésard en 3 ans.
Je pourrais vivre avec ce genre de choses si on fonctionnait encore comme il y a 20 ans. Avec des équipes pyramidales, des jeunes padawans entourant un senseï, le vieux étant censé apporter aux jeunes son expérience, mais aussi son réseau, son pognon, et se coltiner les emmerdes administratives, le grant writing etc.
Maintenant qu'on nous bassine avec l'excellence, avec les primes individuelles, avec la recherche de pognon tous azimuts par appels à projets, où seul le coordinateur ou le partenaire responsable compte, où tout est prétexte à être foutu sur le CV pour montrer à quel point on est individuellement brillant, je trouve ça insupportable.
Je trouve ça insupportable que l'administration exige que j'ai la permission de mon "chef d'équipe" ou "chef de labo" qui n'a rien à voir avec le projet pour aller en conférence avec les crédits d'une ANR dont je suis le porteur. Je trouve ça insupportable qu'on exige que je sois "encadré" pour mener à bien des projets qu'on me pousse souvent à écrire seuls.
Donc soit on (les chercheurs et l'administration) accepte qu'on a bien entamé une transition vers un système "individualiste" à l'américaine, et on arrête de faire chier les jeunes: on les laisse déposer les projets qu'ils veulent où ils veulent, recruter, encadrer, gérer le pognon qu'ils ont ramené. Soit on n'assume pas, on revient vers un système plus hiérarchisé mais dans ce cas là, qu'on m'enlève les emmerdes administratives, qu'on n'exige pas que je ramène 150k€ par an, et donc qu'on me laisse faire ma recherche moi-même, peinardos avec mes petites mains, sans avoir à monter mon groupe et à faire le "manager".
Mais comme d'habitude, personne ne semble vraiment vouloir choisir et on reste donc dans cet entre-deux merdique, où le jeune est un vieux comme les autres mais pas tout à fait.
Sur des thématiques vaguement connexes (mais qui ont inspiré ce billet), voir:
le dernier billet de Gaia, l'avant dernier billet de D. Monniaux, et le dernier billet de Tom Roud (qui fait un peu écho à un vieux billet à moi, si je puis me permettre)