Comme souvent, en France, tout le monde s'accorde à dire que la situation va mal mais dès qu'on parle de changer quelque chose, le statu quo apparaît comme la moins pire des solutions.
Par exemple, je pense qu'il y a une sorte de consensus sur le fait que la situation des docteurs dans notre beau pays n'est pas terrible, que ce soit au niveau de leur insertion et employabilité académique ou privée, de la reconnaissance du diplôme, parfois même au niveau de la qualité moyenne des thèses soutenues (argument ressorti pour défendre le besoin de la qualification), et du côté des doctorants de l'encadrement, des ressources etc.
Mais les levées de bouclier lors du fuitage de l'arrêté pourtant bien innocent montre que, finalement, la communauté s'accommode assez bien de la situation.
Comme je le disais précédemment, il y a en SHS 2/3 de thèses non financées spécifiquement, dont une partie seulement (autour de la moitié probablement) est salariée par ailleurs (professeur dans le secondaire par exemple, ou autre). Le taux d'abandon est de l'ordre de 1/3, et la durée moyenne pour ceux qui finissent est de 5.25 ans.
En parallèle, les thèses de sciences dures sont financées à 90%, le taux d'abandon de 6%, et la durée moyenne des thèses de 3.5 ans.
Concernant l'insertion professionnelle (voir vers page 49), il y a plusieurs sous-catégories au sein des sciences dures et des LSHS. En gros, celles à plus de 12% de chômage et celles à moins de 8.
A plus de 12, on trouve les lettres et sciences humaines mais aussi la chimie et la biologie.
A moins de 8, on trouve les maths, la physique et les sciences de l'ingénieur mais aussi le droit et l'économie.
Couplé à cela, dans les catégories avec peu de chômeurs, on trouve également moins de 25% de CDD, contre plus de 30 (et jusqu'à 40) dans les catégories à fort taux de chômage.
On peut d'ailleurs corréler ça de façon amusante à l'âge moyen de recrutement dans le public, par exemple en tant que maître de conférences: 35 ans pour la biologie, 36 pour les lettres, mais 30 pour les maths, 31 pour l'info, et la physique, seule la chimie ne fitte pas bien avec 31-32 également.
S'il est donc difficile de conclure sans bémol que l'encadrement strict de la durée des thèses et des financements des doctorants leur ouvre grand toutes sortes de débouchés (notamment pour des secteurs industriels en crise comme la biologie ou la chimie), je crois que, en moyenne, la situation pendant la thèse et post-thèse des 60% de docteurs en sciences dures est plus enviable que celle des 40% de docteurs en LSHS. Et que, globalement, la situation pourrait être meilleure pour tout le monde si l'on compare à ce qu'il se passe ailleurs dans le monde. Il m'apparaît également délicat de communiquer sur le doctorat comme première expérience professionnelle quand de facto, il n'y a rien eu qui ressemble de près ou de loin à un contrat de travail...
Est-ce qu'instaurer (ou imposer) des "bonnes pratiques" au niveau des directeurs de thèse réglera tous les problèmes? Probablement pas. Comme je l'ai dit plus d'une fois, il y a beaucoup de pédagogie à faire du côté des entreprises pour culturellement modifier le rapport de force avec les écoles d'ingénieur, de commerce, ou les ScPo, ENA etc pour améliorer la lisibilité du diplôme (si tant est que cela soit possible).
Mais j'avoue que quand j'entends des permanents refuser tout encadrement de la durée des thèses, toute obligation de financement des doctorants; quand le permanent n'a de fait aucune responsabilité dans l'encadrement, d'autant plus qu'il m'explique qu'en sciences humaines, on réfléchit fort et que donc c'est le doctorant qui doit définir son propre sujet; quand enfin, après tout, s'occuper du devenir du doctorant c'est pas son problème; et quand, pour justifier tout ça, on me parle de "liberté académique", je fais une syncope.
La liberté académique, c'est celle du permanent de pouvoir chercher ce qu'il lui plaît (et Dieu sait qu'elle est mise à mal avec les impératifs du financement). La liberté académique du précaire, c'est quoi? C'est la même que celle de l'employé qui dit qu'il veut travailler le dimanche parce qu'il n'a pas assez pour vivre avec son travail de la semaine, et que le patron montre en exemple... Pendant ce temps là, le permanent, lui, "encadre" et met bien ça en avant pour ses primes ou dossiers de promotion.
Plus ça va (ou en fait plus je lis de choses qui me font tomber de mon siège), plus j'approuve le projet d'arrêté qui va passer aux oubliettes. Pour tout dire, j'irais même plus loin.
- Inscription en thèse uniquement des doctorants financés ou des salariés, avec durée de 3 ans plus 2 de dérogation pour soutenir la thèse (ou 6 + 2 pour les salariés). Dérogations accordées que si financement pour l'année supplémentaire.
- Pour ces doctorants là, suivi, par l'école doctorale, l'HCERES et les comités de thèse, du rôle du directeur de thèse, des durées de thèse et du devenir des doctorants. Publication ouverte des statistiques sur le site de l'école doctorale, par laboratoire et par encadrant.
- Vrai pouvoir donné aux comités de thèse pour stopper celle-ci si le candidat ne répond (vraiment) pas aux attentes.
- Pour les autres (les non financés, soit environ 20000 personnes en préparation de thèse à un temps donné, mais dont seulement 12 ou 13000 soutiendront un jour...), simplification de la procédure pour la validation de la thèse en VAE ou procédure de ce style. Le suivi universitaire serait assuré par un "tuteur pédagogique" (activité que l'on dissocierait de celle de directeur de thèse dans les dossiers des encadrants; un peu dans l'esprit de ce qu'on fait pour l'apprentissage). Mon idée, c'est qu'à terme ce genre de doctorats représente quelques dizaines de cas par an, pas 10000...
Et puis bien sûr, suppression de la qualification (ça n'a rien à voir mais bon, tant que j'y suis), et de la HDR, parce qu'il faut être consistant: on ne peut pas fonctionner dans un système par appels à projets où le jeune permanent doit chercher du fric et recruter pour bosser, sans lui donner le droit d'encadrer pendant ses 5 ou 10 premières années...
Voila, votez pour moi et tout le monde sera dans la rue très rapidement.
(article écrit dans l'émotion de l'instant, sans relecture, je prie mes lecteurs de bien vouloir m'excuser, je relirai asap)