Derrière ce nom original (l'hôtel se situant au 42 de l'avenue Gabriel, en face du restaurant historique Laurent, métro Franklin D. Roosevelt ou Champs-Elysées Clémenceau) se cachent les nouvelles cuisines de Jérôme Banctel, auparavant chef éxécutif chez Senderens (et encore avant second de Pacaud à l'Ambroisie sur un total d'une quinzaine d'années, bref, joli CV). Pour des raisons obscures (en tout cas pour moi), il n'a pas repris le Lucas Carton quand Senderens s'en est séparé alors qu'il y semblait promis.
Le voila donc en première ligne depuis un peu moins d'un an dans ce projet ambitieux porté par l'homme d'affaires Michel Reybier.
Une fois n'est pas coutume depuis quelques années dans les restaurants gastronomiques, il s'agit pour l'occasion (l'anniversaire de Priscilla, dont je tairai l'âge par pudeur) d'un dîner et non d'un déjeuner.
La carte me faisait pas mal saliver, et les prix sont encore je pense "d'appel". Comme on ne sort plus beaucoup, nous avons opté pour le menu dégustation à 115€ avec l'accord mets-vins à 65€ (5 verres de 8-10 cl), en sachant qu'on passerait pour expier notre pêché une nuit difficile, mais quand on aime on ne compte pas...
Le menu dégustation est une succession "décidée par le chef" de plats de la carte, a priori en gros 2 entrées, 2 plats (1 poisson et 1 viande) et 1 ou 2 desserts. Néanmoins, le jeune maître d'hôtel, très aimable, nous demande si un plat de la carte nous attire tout particulièrement. C'est la saison du gibier, il y en a beaucoup sur la carte, je lui réponds donc qu'on aimerait au moins en avoir un, et que le top, ce serait le lièvre à la royale, ce plat mythique qu'on ne trouve presque nulle part (et qui ne plaît pas à tout le monde). Il est ici en plus présenté en "version chic" (Carême) et non "version ragoût" (Couteaux). Le maître d'hôtel nous répond qu'il verra ce qu'il peut faire avec un petit sourire.
Niveau vin, on commence par la coupe de champagne (celui du proprio) de célébration à 20 boules, qu'on regrette toujours un peu ensuite, surtout moi parce que je ne suis en plus pas spécialement fan, mais bon, Priscilla aime bien... Pour accompagner, des petits amuse-bouches sympathiques, champignon-foie gras en "burger" et une petite bouchée type "brandade" avec des oeufs de poissons-volants. Le deuxième amuse-bouche, du saumon snacké à l'unilatérale , raviole d'aubergine et sauce yuzu, est déjà un peu plus rock'n'roll, même si décidément, je trouve de moins en moins d'intérêt au saumon, fût-il de bonne qualité...
On enchaîne ensuite avec les deux premières entrées: coquillages, bouillon léger à la viande, lentilles et une herbe dont je ne retrouve pas le nom (que le serveur n'a pas su identifier). Une alliance terre-mer pas classique (en tout cas pour moi), et c'est pas mal du tout.
Pour accompagner, un bon chablis du domaine Oudin (les Serres 2012).
Ensuite, dorade et cèpes sous plusieurs formes ("brut", poêlé, en brunoise, en crème...). La aussi, l'alliance terre-mer est assez osée, et le résultat de très bon niveau. Avec, un vin du Languedoc (Domaine la Marfée, Della Francesca 2012) pour un accord met-vin au diapason, pas dans la facilité mais bien maîtrisé.
Le premier plat est un nouveau poisson, peut-être mon plat préféré de la soirée: rouget, ravioles carotte/orange. Servi avec un rouge italien, la aussi un choix surprenant mais une très bonne surprise, sur les agrumes, un Barbera d'Alba (Chiara Boschis 2013). Cuisson top du poisson, bon dosage de l'acidité, raviolis bien al dente et parfumés, pas d'esbroufe mais un très beau plat et un très bel accord.
Le deuxième plat, côte de veau, gnocchi, truffe d'Alba, me scotche moins mais est de haut niveau également. Belle pièce de veau, épaisse, fondante et goûteuse, avec un jus réduit bien puissant. Les gnocchi, pour chipoter, sont un peu trop fondants à mon goût, je préfère quand il y a plus de tenue sous la dent. Avec un joli Savigny les Beaunes, domaine Ecard 1er cru, Serpentière 2010).
A ce stade, on a déjà trop mangé, il faut l'admettre.
"Malheureusement" (le terme est mal choisi, il y avait plus malheureux que nous ce soir là), le chef n'a pas souhaité nous enlever de plat par rapport au menu initialement conçu, et nous en a donc rajouté un, le fameux lièvre à la royale façon Antoni Carême (créé apparemment pour la "merde en bas de soie", Talleyrand, qui savait vivre en plus de survivre aux changements de régime).
Le lièvre est désossé, mariné une nuit dans une sauce au vin et aux épices, reconstitué sous forme de roulade farcie de foie gras et de truffe, cuit 36 heures, la sauce est ensuite liée au sang (je cite ceci sans l'avoir jamais fait moi-même, et sans avoir aucune intention de le faire un jour, que les amateurs me pardonnent si j'ai dit une connerie): bref, un plat léger...
La présentation est superbe, la sauce "miroir" noire est rajoutée par dessus la tranche de lièvre. Servi avec des tagliatelles dès fois qu'on ait un petit creux.
C'est vraiment exceptionnel, bon, sans trop me forcer je finis mon assiette parce que tel Obélix, j'ignore parfois (où mon cerveau bloque l'information en tout cas) qu'on peut trop manger, mais c'est un peu dur pour Priscilla qui, bien que peinée, en laisse la moitié.
Pour accompagner, un Châteauneuf du Pape (what else?), Clos des Brusquières 2010, qui se défend pas mal.
On nous épargne ensuite le pré-dessert (ouf), pour passer aux deux desserts.
Fraise des bois sur un biscuit amaretto, puis noisette sorbet yuzu, agréables à l'oeil et au palais, pas trop sucrés et relativement légers, mais qui me semblent un poil plus anecdotique.
Puis quelques mignardises pour conclure, des fois qu'il reste un petit creux dans la luette...
Bilan: 210€ par personne, un peu au-delà de ma limite psychologique (200€), mais qui aurait été largement respectée sans le champagne un peu superflu. Partis comme on l'était, on a pas chipoté et on est même rentré en taxi.
Le rapport qualité-prix-plaisir m'a semblé vraiment excellent, surtout pour un dîner, et le repas m'a beaucoup plus marqué que le Bristol quelques mois avant, par exemple. Les alliances mets-vins m'ont semblé de bon niveau avec quelques relativement belles bouteilles (de ce que j'ai vu, les différents vins étaient entre 10 et 25€ la bouteille), pas franchement dans la facilité, et le sommelier a été assez généreux dans les doses et dans les explications.
Sans trop me mouiller, il y aura au moins une étoile au prochain guide rouge, cela ne serait pas honteux qu'il y en ait deux...
La cuisine est assez personnelle, un peu à l'écart de l'air du temps (on ne retrouve pas vraiment les produits "presque crus", les légumes oubliés, les dressages horizontaux-verticaux), avec des alliances pas classiques, quelques touches asiatisantes mais lègères, et d'autres plats plus solidement ancrés dans la tradition (les plats de gibier par exemple). Bref, ça sort de l'ordinaire et c'est appréciable, même s'il y a certains gimmicks sur lesquels on pourrait chipoter (utilisation un peu systématique d'agrumes: j'aime beaucoup, mais ça peut lasser et dans le dessert à la noisette par exemple ça n'apportait pas grand chose - ou alors la séquence ravioli/gnocchi/pâtes qui la aussi pourrait finir par déplaire à d'autres que moi: après 20 ans à Nice, en ce qui me concerne, je pourrais me nourrir exclusivement de ça...)
La salle m'a beaucoup plu (mélange rétro moderne plutôt bien fait), hormis le fait que c'est un peu trop sombre au niveau de l'éclairage, qui convient plus au bar de l'hôtel que l'on traverse pour arriver à la salle.
Le service est jeune, mais au poil, surtout le sommelier et le maître d'hôtel. Notre serveur, très gentil, manquait encore un peu d'assurance, m'a-t-il semblé.
Ce vendredi soir, c'était environ au tiers plein (~12-15 couverts sur 35-40 places). Ca mériterait mieux, j'espère que la mayonnaise va prendre. Le menu déjeuner à 67€ semble, vu la carte, un bon plan...
Ceci était mon 800ème article... ça ne rajeunit personne.