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  • : La vie au labo
  • : Les pensées - j'ose le mot- diverses d'un jeune scientifique ayant obtenu un poste académique à l'Université, après presque trois années en post-doctorat dont deux au fin fond du Massachusetts. Ca parle de science (un peu) mais surtout du "petit monde" de la science. Et aussi, entre autres, de bouffe, de littérature, de musique, d'actualité, etc. Et de ma vie, pas moins intéressante que celle d'un autre.
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29 juin 2016 3 29 /06 /juin /2016 11:02

Je rebondis brièvement sur le "mythe" des doctorats "de complaisance", dont on a beaucoup parlé ces derniers temps avec les doctorats par VAE.

D. Monniaux a notamment expliqué que la VAE ne simplifiait pas franchement les possibilités qui existent déjà par les "voies traditionnelles" de délivrer de tels diplômes. 

 

Avouons-le, on a tous assisté à des soutenances qui n'auraient probablement pas du avoir lieu (ou alors qui n'auraient pas du aboutir à la délivrance du diplôme) ou au moins entendu des histoires de doctorat délivrés à des anonymes ne le méritant pas forcément, sans même avoir besoin d'évoquer des affaires médiatiques (astrologues, présentateurs télés etc). 

 

Mais il n'y a pas d'un côté les thèses exceptionnelles (ou même simplement bonnes) et de l'autre les thèses dysfonctionnelles où il est clair que l'on aurait du agir et qu'on ne l'a pas fait (les raisons possibles pour ne pas avoir agi avant la soutenance sont multiples et un peu hors du cadre de ce que je voudrais dire ici, même s'il serait intéressant d'en faire un article à part entière).

 

Il y a aussi tout un tas de situations embarrassantes où il n'y a, semble-t-il, que des mauvais choix à faire.

 

Je vais raconter une histoire vraie (bien qu'anonymisée au mieux) qui rentre, selon moi, dans ce registre.

 

 

En 2010 un jeune syrien est venu voir un collègue. Il était titulaire d'un bac + 5 (syrien), avait quelques années d'expérience profesionnelle en tant qu'ingénieur en Syrie. Il souhaitait venir faire une thèse en France sur des thématiques scientifiques en devenir et pertinentes dans un cadre industriel (le tout dans le domaine de compétences de mon collègue), pour ensuite retourner en Syrie créer son entreprise en lien avec cette thématique. Il disposait d'une bourse du gouvernement syrien pour ce faire. Le montant de celle-ci était faible (entre 800 et 1000€ mensuels nets), mais la personne disposait de ressources personnelles familiales.

A ce stade, 2 premières erreurs: le directeur du laboratoire a plutôt poussé à accepter la proposition, en regard de la maturité du candidat vis-à-vis de son projet professionnel et de son parcours personnel tout à fait raisonnable, le collègue initialement pas convaincu a fini par se ranger à ces arguments.

2ème erreur: l'école doctorale a accepté d'inscrire le doctorant malgré la faiblesse de la bourse, sachant que le laboratoire ne pouvait lui garantir de compléments de revenus. D'autres écoles doctorales auraient probablement imposé un complément de l'ordre de 500€ mensuel pour accepter le dossier, et tout aurait été terminé à ce stade.

 

Et puis, quelques mois plus tard, la guerre civile éclate en Syrie. Rapidement, la bourse n'est plus versée au doctorant. Une partie de sa famille proche est directement touchée (des membres de sa famille sont portés disparus). 

Le doctorant d'une part n'a plus vraiment la tête à sa thèse, d'autre part doit trouver un petit boulot (au noir) pour subsister. 

Bien sûr, la thèse n'avance plus vraiment, le doctorant ne vient plus beaucoup au labo. 

Je vous passe les détails, les problèmes innombrables, tant avec la préfecture et menaces d'expulsion avant d'obtenir le statut de réfugié, que les tentatives pour, via des crédits du labo, le financer à hauteur de 1000€ au moins pendant une partie de sa thèse, en passant par l'école doctorale en cours de dissolution à cette même époque, etc.

A cause de tout ça, le doctorant n'est jamais vraiment rentré dans son sujet, et probablement que ses bases et son niveau n'étaient pas aussi solides qu'escomptés non plus. Mon collègue et un autre ont mis les mains profondément dans le cambouis, l'ont aidé sur les manipes, en ont fait certaines eux-mêmes. Après une prolongation d'un an, il y a eu suffisamment de résultats pour faire un manuscrit, très moyen certes, mais "crédible" (il pourrait éventuellement sortir 2 articles de la thèse, même si à l'heure actuelle rien n'a été encore publié: la encore, l'école doctorale a laissé couler là où d'autres auraient peut-être posé un veto).

Les collègues ont largement aidé à la rédaction du manuscrit (voir, pour certaines parties, l'ont écrit eux-mêmes). 

 

Un jury a été réuni. Quelques mots sur le "jury de complaisance": tout dépend ce que l'on entend par là. Il est difficile d'avoir assez de bons copains, qui en plus sont suffisamment crédibles sur la thématique pour constituer un jury entier (sauf peut-être si l'on est senior ou avec un réseau monstrueux). Et puis, on a pas forcément envie de griller toutes ses cartouches "bons potes qui me rendront service" d'un coup. Bien sûr, on n'a pas envie d'inviter des pontes ou des gens avec qui on aimerait bosser un jour. Alors, on prend un ou deux bons copains, et pour le reste on va chercher des personnes un peu à la marge de ses activités, des personnes en fin de carrière, des personnes dont on estime que la recherche est "pépère" ou les standards pas trop élevés, etc.

Bref, la soutenance s'est plutôt bien passée, le doctorant avait bien préparé, il s'est sorti sans trop de problèmes des questions face à un jury plutôt bienveillant.

 

 

Voila, il y a un docteur de plus.

Sur le niveau et les résultats, il n'aurait probablement pas fallu le diplômer. Sur le plan humain, sur l'histoire personnelle, comment faire autrement? Y avait-il un bon choix, une bonne façon de procéder? Une fois le train en marche, cela semblait innarêtable. Je pense que ce qui pouvait et devait être fait a été fait, mais rien de tout ça n'a été facile et satisfaisant, et je pense qu'on pourrait argumenter raisonnablement sur des positions opposées.

Qu'auriez-vous fait? 

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commentaires

M
J'ai l'impression que ce billet donne exactement un contre exemple au billet de D. Monniaux (qui laissen entendre que ce genre de doctorat de complaisance n'est pas possible)<br /> <br /> "Lorsque des universitaires laissent entendre qu'il y aurait la possibilité de décerner des doctorats de complaisance, ils sous-entendent donc que certains de leurs collègues [...] seraient capables de se prêter à pareille combinaison."
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M
Il faudrait demander à D. Monniaux ce qu'il pensait exactement. J'avais cru comprendre qu'il sous-entendait que oui, ce genre de choses était possible (voire relativement couramment répandu), mais qu'on faisait bien garde de ne pas en parler...<br /> Mais mon billet était effectivement en contrepoint du sien: qu'appelle-t-on doctorat de complaisance? (le cas que je cite me semble assez complexe à définir, par exemple)
Z
Sinon, dans la série truc horrible, on m'a raconté l'histoire de quelqu'un qui avait été autorisé à soutenir uniquement parce qu'il avait fait une tentative de suicide, menacer de "se finir" s'il ne soutenait pas. Ses encadrants lui ont fait un signer un truc comme quoi il s'engageait à ne jamais postuler dans le monde académique. Apparemment, la thèse était un gros résultat négatif même pas correctement écrit.
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Z
J'aurais fait exactement la même chose, d'autant plus s'il a été capable de faire un boulot correct, pas extra mais correct. Après sur le manuscrit, la différence entre faire un proofread intensif (avec correction de virgule) et réecrire le paragraphe est assez tenue.<br /> Sinon, j'ai une amie à moi, prof d'Info à Alep, Dr en Fr, chrétienne en plus donc doublement menacée, bloquée en Syrie parce que sinon abandon de poste, prison et menace sur ses parents, pour qui franchement je serais prêt à signer n'importe quoi, rédiger n'importe quoi pour la sortir de là. <br /> La situation en Syrie est tellement horrible que si on peut faire quelque chose pour aider même un petit peu, on ne doit pas se poser la question.<br /> <br /> Djamé
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M
Beh... j'ai la même histoire, en double d'ailleurs : syriens, frères, pertes de membres de la famille, ressources limitées, tête ailleurs, mais infiniment courageux et motivés... Deux thèses soutenues, à quelques semaines d'intervalle, pas les thèses du siècle, mais probablement deux rayons de soleil pour les survivants. Priceless.
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M
oui, le côté "tout est bien qui finit bien" (relativement hein) amène un peu de réconfort et permet de vivre (pas trop mal) avec les petites entorses qu'on a du faire à ses "principes" entre temps... c'était un peu la raison d'écrire cet article.