Récit d'un déjeuner mi-mai au Cinq, le restaurant du Georges V, repris par C. Le Squer (anciennement triple étoilé au Pavillon Ledoyen) en octobre 2014, et qui après avoir eu 2 étoiles au Michelin en 2015, a regagné la 3ème début 2016.
Pour ceux qui ne voudraient pas aller plus loin et juste regarder les photos, disons-le illico: ce déjeuner fut extraordinaire à tous points de vue: bon, beau, cher, très palace en somme. Je lui réserve illico une place dans le top 5 voire 3 de mes expériences gastronomiques.
Ce côté "palace" et ses codes rendent difficile les comparaisons avec certaines de mes expériences passées (telles que Savoy ou Passard), mais j'ai trouvé que le Cinq était par exemple très nettement au-dessus du Bristol.
Arrivés à 12h15, le restaurant n'ouvre ses portes qu'à 12h30 pétantes. La salle a un côté forcément un peu bling-bling comme dans tous les palaces que j'ai pu fréquenter au déjeuner. La salle se remplira disons aux 2/3 avec un public varié, du couple à la famille très 7ème, en passant par le vieux monsieur solitaire lisant le Figaro jusqu'aux touristes chinois. Le service m'est apparu impeccable, s'adaptant à chaque public et sachant allier ultra-professionnalisme chic et une petite touche de décontraction et de bonne humeur apparente mettant à l'aise les convives.
On opte pour le menu déjeuner 4 plats à 145€ (210 pour 6 plats). En boissons, nous avons évité pour une fois le coup de bambou de la coupe de champagne, mais pas celui des verres de vin: il y a 5 ou 6 références pour les blancs, idem pour les rouges et les vins de dessert. Compter 25€ le verre pour blanc et rouge, 35€ pour le vin de dessert (gloups!). Néanmoins, les coefficients semblent plus "raisonnables" que ce que j'ai pu voir dans d'autres établissements de ce standing (les bouteilles proposées, relativement "rares", sont facilement autour de 40€ prix producteur, on est donc typiquement sur du coefficient 4, là ou pas mal de triples étoilés tapent plutôt dans le 6, voire 8 ou 10!).
Après des amuse-bouches sympathiques (dont une excellente au foie gras), la pré-entrée donne le ton (cerises et asperges) dans une composition détonnante et visuellement très agréable à mon humble avis (ce sera une constante tout le repas).
Vient ensuite l'entrée proprement dite, toujours à base d'asperge: "asperges vertes truffées, mousseline de Château-Chalon". Le Château-Chalon, du vin jaune, donne une sauce extrêmement riche, que le jus truffé très réduit vient combattre. Les goûts individuellement sont presque trop puissants, mais le plat prend toute sa dimension lorsque tout est dégusté ensemble.
On est sur de la cuisine française de très haut niveau, mais avec en même temps une originalité, une touche personnelle, et une liberté d'expression qui ne semblent pas feintes, et que la encore on retrouvera tout au long du repas.
Nous accompagnons tous deux d'un verre de Chablis Grand Cru 2013 Grenouille (domaine Droin), au beau potentiel mais peut-être encore un peu vif.
En 2ème entrée, la "gratinée d'oignons à la parisienne contemporaine" ou dit autrement, une soupe à l'oignon revisitée. Des perles d'oignons explosent en bouche pour relâcher la-dite soupe. Ce qui pourrait paraître comme un gimmick à la Top Chef ("classique populo retouché grande cuisine avec une touche de moléculaire") est indéniablement un grand plat, d'ailleurs "signature" du chef Le Squer. Vraiment une tuerie, croyez-moi. On aimerait en avoir deux fois plus dans l'assiette.
En plat, Priscila enchaîne avec "Merlan de nos côtes en filet, rôti à la moutarde, condiment myrtille" accompagné du même vin (servi généreusement, d'ailleurs j'ai eu droit à un "refill" offert avant moi, de changer). Elle a trouvé ce plat exceptionnel (je ne peux vraiment vous en dire plus, car même si je l'ai goûté, sa construction toute en subtilité était difficile à saisir entre deux bouchées du plat puissant que je vais décrire ci-dessous).
Pour ma part, un "pigeon grillé laqué, truffe, olive et vapeur de navets" parfaitement équilibré (belle maîtrise sur la tapenade d'olives qui aurait pu vite devenir trop prégnante) accompagné d'un Châteauneuf-du-Pape, Domaine du Vieux Donjon 2012 qui se mariait idéalement.
Suit un pré-dessert (une petite mousse pralinée, si mes souvenirs sont bons), avant l'apothéose, deux desserts de très haute volée: "fraises au naturel, chantilly, granité pétillant, chocolat blanc", parmi les 3 meilleurs desserts que Priscilla ait mangés de sa vie si je dois l'en croire (je confirme qu'il était excellent, beaucoup plus léger et fin que ce que l'énoncé peut laisser imaginer), accompagné d'un vin de dessert italien pétillant très parfumé tout en étant peu élevé au niveau sucrosité (Alto Adige Moscato d'Asti, F. Haas).
Et pour moi, les premières "cerises cusinées dans leur jus, parfumées de kirsch, glace pistache", la aussi un très beau dessert tant gustativement qu'esthétiquement (quel travail de présentation, comme sur tous les plats!). Avec un autre muscat italien excellent (j'adore leurs vins doux, que je trouve souvent plus fins que les français), un Alto Adige Moscato Rosa 2013 (F. Haas également).
Et puis, bien sûr, des mignardises, ainsi qu'un kouign-amann avec le café pour finir avec légèreté (une eau spéciale nous sera servie avant le café pour nous rincer idéalement la bouche, la petite touche snob qui va bien), et un chariot de gourmandises car quand il n'y en a plus il y en a encore.
On nous offrira un ensemble de caramels, chocolats et autres nougats à ramener à la maison dans une petite boîte.
Un moment de grande classe, 3 heures ou presque sans rien à redire: cuisine (même le pain est excellent) et service au top, timing idéal, quantités parfaites (tout en ayant très bien mangé, on ne sort pas complètement gavé comme parfois)... tout cela a un coût, plutôt plus élevé que ce que nous nous étions permis jusque là (quasiment 250€ par tête quand nous n'avions jamais dépassé 210 ou 220). Mais clairement, aucun regret.
Si ce n'est de m'être fait chier dessus par un pigeon juste avant d'arriver, ce qui a impliqué une séance de nettoyage un peu rock'n'roll et pas très ragoûtante avant le repas (on appelle ça le syndrome Pierre Richard).
Si j'étais très riche, j'y retournerais dîner rapidement (310€ hors boisson pour le menu 9 plats du soir).