Ca s'emballe dans la blogosphère à propos de la réforme de l'Enseignement Supérieur (en particulier à propos du discours du Président).
Il y a aussi les tribunes qui fleurissent au quotidien dans le Monde, par divers médaillés Fields ou présidents d'université; la lecture des commentaires des lecteurs est d'ailleurs parfois un puissant incitateur à l'abonnement, rien que pour pouvoir répondre et soulager temporairement le courroux (coucou) naissant devant les abysses de connerie proférés par des crétins bovins pétris de certitudes clichéesques malgré leur visible ignorance crasse du sujet. La vanité de la chose m'a jusqu'à présent fait reculer mais il n'est pas dit que je ne craquerai pas un jour.
Enfin bon, quoi qu'il en soit, tout cela est très intéressant mais je me suis moi-même déjà exprimé, aussi brillament qu'à l'accoutumée, bien que fort succinctement, sur le sujet. Alors aujourd'hui, je pensais être plus léger et m'attarder sur une attitude de mes congénères qui m'agace prodigieusement.
Le séminaire ou la conférence, c'est un peu la faille spatio-temporelle du chercheur: il est amené à y perdre beaucoup de son temps, malheureusement plus en tant que spectateur qu'en tant qu'acteur. Pourquoi y perdre son temps? Parce qu'il se retrouve très souvent, trop souvent, à écouter des sombres inconnus parler de sujets tout aussi obscurs et dont l'éloignement par rapport à son domaine de compétence rend l'intérêt pour le moins douteux.
Parfois, et comme dirait l'autre "c'est l'arbre qui cache la forêt", le sujet vous intéresse particulièrement. Ou alors, le conférencier est suffisamment brillant pour que, à défaut de vous captiver si le sujet est fort éloigné de vos préoccupations, le temps passe relativement vite.
Mais ne nous leurrons pas, les conférenciers brillants, ça ne court pas les rues, et surtout dans le domaine scientifique où on rencontre plutôt des ex-boutonneux mal fagotés et timides. Comme disait Randy Pausch, "j'étais le meilleur conférencier de mon labo, mais être le meilleur conférencier dans un labo de Sciences Informatiques, ça fait rêver personne".
Alors bon, faut vivre avec les séminaires et les conférences, et se faire à l'idée qu'on va passer une partie non négligeable de son temps à s'y emmerder: certes, il y a souvent moyen de s'esquiver mais parfois (si c'est votre chef qui parle ou qui invite, si vous vous sentez le devoir d'assister à une conférence parce que votre boss a payé 2000 dollars pour vous y envoyer, si ...) on ne peut pas y couper.
Tout cela ne serait pas trop grave s'il n'y avait une foule de chercheurs incapables de tenir un horaire. On peut à la rigueur excuser le jeune suant à grosses gouttes que son chef n'aurait pas fait répeter, et bafouillant son premier talk pour cause de grande nervosité.
Mais outre que c'est assez rare, la communauté hésite rarement à les interrompre: le jeune peut se faire bâcher, c'est pas grave. Chose qu'elle est beaucoup plus réticente à faire lorsque le speaker est d'âge mûr, alors que c'est à mon sens beaucoup moins excusable. En effet, on peut supposer qu'un chercheur vétéran a déjà donné suffisamment de talks dans sa vie pour ne pas avoir besoin de répéter quinze jours, et pour savoir combien de slides il utilise généralement pour tenir x minutes. Et donc, pour savoir que s'il en fout 15 de plus que d'habitude, ça ne marchera pas.
Il y a plusieurs catégories de chercheurs qui s'autorisent ce genre de choses:
- Les vieux, qui n'ont plus rien fait depuis 20 ans, qui sont moins invités qu'au temps de leur splendeur, et arrivent donc sur scène comme si c'était la dernière fois, bref dans l'idée de ne pas la lâcher facilement, voire même, à la Molière, d'y mourir. Je me souviens d'un papy, à Lyon fin novembre, à qui on avait demandé d'introduire rapido la session poster, et qui malgré son extinction de voix, avait tenu à nous expliquer un par un les dits posters durant 45 minutes. Ainsi, il était déjà presque 19 heures lorsque la session commença, et comme de plus papy avait déjà tout dit... la foule ne s'attarda pas, dommage pour ceux qui présentaient.
- Ceux qui ont un fort ego et qui se sentent obligés de vous dire à quel point tout ce qu'ils font depuis 30 ans qu'ils sont la est génial. On a alors droit à une présentation CV, avec tout ce qui a donné lieu à une publi depuis 1976 (il y en a même qui vous montrent leur matériel non publié: chose qui peut être intéressante lorsque c'est une manipe en cours, mais qui lorsque ça remonte à 15 ans, signifie généralement, tout bonnement, que c'était à chier). La deuxième version du fort ego, c'est le chercheur qui n'a absolument pas préparé son talk, parce qu'il est largement au-dessus de tout ça et que de toute façon tout le monde viendra lui sucer la bite quand même. Résultat, il a collé trois présentations qui n'ont rien à voir deux heures avant, et se retrouve avec 124 slides à torcher en 45 minutes, slides qu'il redécouvre en même temps que vous.
- Ceux qui ont un faible ego et cherchent donc à impressionner l'assemblée. En gros, la cause est différente, mais pour le résultat, ça redonne une présentation CV.
Mais quelle que soit leur raison, je trouve ça profondément irritant. Et inutile, car je ne crois pas être le seul à avoir une autonomie d'écoute limitée quand le sujet est pointu.