Comme tant de monde avant moi, et sans doute tant de monde après, je vais un peu déverser mon fiel sur les méthodes de recrutements dans la recherche publique française. C'est pas que ça changera grand chose, mais c'est un peu une sorte de cri primal pour moi, voyez? Et puis, je vais essayer de donner un côté "petit guide à l'usage des benêts: que faire, que ne pas faire?", ça pourra peut-être servir à deux trois paumés qui tomberont ici par hasard.
Alors bon, tout a commencé avec les "bourses initiatives post-doc": d'un montant de 5000 euros, c'était censé permettre aux post-docs à l'étranger d'effectuer des aller-retours en France pour visiter des laboratoires, monter des dossiers de candidature, auditionner, etc... Aucune publicité n'était faite sur ces bourses, il fallait avoir la chance de tomber sur quelqu'un qui vous en parlait, puis googler un peu et tomber sur une page paumée du site du ministère pour y trouver les conditions de candidature.
Ca avait sans doute des défauts (dont l'opacité traditionnelle de tout le processus de recrutement dans le joli monde de la recherche), mais ça permettait à quelques débrouillards de contrer un peu le système basé sur l'"égalité républicaine" qui fait que, comme on auditionne presque n'importe qui, du moment qu'il a soumis correctement, administrativement parlant, sa candidature (et qu'elle n'est pas complètement scandaleuse), l'Etat n'a pas les moyens de payer le transport et l'hébergement à plusieurs milliers de candidats (en gros 50 pour chaque poste CNRS, probablement un peu moins pour les postes MdC). Et que quand on vit aux Etats-Unis ou pire encore en Asie avec un salaire de post-doc, trois ou quatre aller-retours dans l'année, ça fait mal au fion porte-monnaie en plus de faire chier le boss, qui ne pensait pas payer son post-doc pour que celui-ci se barre 15 jours tous les trois mois.
Vous me direz que techniquement, le seul aller-retour nécessaire est celui de l'audition. C'est vrai. Surtout pour les candidats "locaux", en fait. Quand on n'a pas de labo de retour privilégié, typiquement quand votre labo de thèse ne souhaite pas vous recruter pour des raisons x ou y, il faut bien établir des contacts avec d'autres labos qui ne vous connaissent pas ou peu. Pour ce faire, l'email se révèle rapidement limité, surtout en France où, je trouve, les permanents répondent assez peu comparativement aux Profs américains. Donc il faut rentrer, faire un séminaire ou une conférence, bref, se vendre (ou sucer, comme vous préférez). C'est un travail de longue haleine - ou de gorge profonde-, qui commence quasiment un an à l'avance pour avoir six mois plus tard, au moment où les labos commencent à rechercher des candidats plus ou moins franchement, une ou deux pistes potentielles.
Enfin, soyons rassurés, car de toute façon ces bourses ont été supprimées l'an dernier, sans qu'aucune annonce soit faite sur le sujet. C'est en contactant directement l'ambassade de France aux US que je l'ai appris. Comme ça ne concernait que quelques centaines de péquenauts de toute façon pas très revendicatifs, pas besoin de faire de la pub sur le sujet... C'est toujours quelques millions de gagnés dans le budget. Je crois qu'un certain nombre d'autres bourses dans le même genre ont été supprimées: faut comprendre, les caisses sont vides.
Tout ça, ce n'était que l'amuse-bouche.
Il y a eu ensuite la riche idée de décaler les concours CNRS au mois de mars, quand ils étaient auparavant menés en parallèle avec les concours MdC, c'est à dire en mai. Soit, pour les candidats étrangers, un retour de plus minimum à prévoir, et pour tout le monde encore plus de temps de perdu à préparer des candidatures. Je vois bien qu'il y a des avantages: ça permet aux candidats d'être plus focalisés sur le CNRS (vu le nombre de poste, ils ont tout intérêt à être à fond), et donc d'envisager les candidatures MdC une fois seulement qu'ils ont été boulés au CNRS: puisque de toute façon officieusement, les MdC sont ceux qui ont échoué au CNRS, autant rendre cet état de fait presque officiel. Et puis surtout, ça permet aux examinateurs de délayer un peu leurs présences dans les commissions qui évaluent les candidats. En gros, le système français pourrait se résumer à ça: tout est fait pour faciliter la vie des examinateurs, pas celle des candidats...
Je passe sur la "qualification" (uniquement valable pour les candidatures MdC), premier processus discriminant pour éventuellement faire perdre un an aux naïfs ou aux procrastinateurs (je déteste ce mot, que je trouve très moche). Epreuve purement administrative (à condition qu'on ait fait une thèse au moins potable en termes purement académiques, id est avec au moins une ou deux publis et un peu d'enseignement à la clef), elle consiste comme souvent à réunir en peu de temps 412 papiers plus ou moins faciles à dénicher, à les agrafer, et à les envoyer en suivant bien les instructions à la commission X avant la date butoir Y, cachet de la poste faisant foi: cette date butoir étant généralement pile-poil après la soutenance, c'est à dire le moment où on vous donne les papiers dont vous avez besoin, ce qui rajoute un peu de piment à la chose. Ce qui est amusant, c'est que le système est maintenant informatisé pour "plus de simplicité", mais qu'on doit toujours envoyer par la poste un bon vieux pavé de 4 kilos: en gros le plus de simplicité, c'est "remplissez en ligne puis imprimez le formulaire B122 que vous trouverez ci-dessous en PDF. Signez-le et joignez le à votre dossier".
Généralement, deux mois après, vous apprenez que c'est bon.
C'est la que ça commence vraiment.
Si vous êtes comme Candyde au pays de la recherche, ça risque de donner ça: http://www.guigui.fr/Les-concours-de-recrutement-de-chercheur-CNRS-Maitre-de-Conference.html. Bien que les universités soient désormais supposées autonomes, ça n'a pas changé grand chose par rapport au lien ci-dessus.
Mais même si on s'attend au pire et qu'on connaît (ou qu'on cherche à connaître) les rouages politiques du recrutement parce qu'on a bien compris que ça comptait au moins autant que le reste, il peut y avoir des surprises. Par exemple, le dossier de candidature à soumettre à la fac, qui comme son nom l'indique, sert à faire acte de candidature pour un poste:
- d'une, les postes sont officiellement publiés trois semaines avant la dead line pour l'envoi du dossier de candidature, ce qui laisse peu de temps pour prendre contact avec les gens si ça n'a pas été fait avant, puis pour ficeler un dossier avec eux dans l'hypothèse où ils n'ont pas de candidat local bétonné sous la main. Ce cas de figure arrive probablement plus fréquemment qu'on ne le croit, car même les directeurs de labo, en tout cas la plupart, ne savent pas très longtemps à l'avance s'ils auront un poste ou non. Pour un poste, j'étais en contact avec un chef d'équipe, et je n'ai eu la confirmation officieuse que quelques semaines avant la publication officielle. Sur un autre poste, ils n'avaient pas vraiment de candidats même en pourparlers avancés, parce qu'ils avaient plutôt bossé sur le concours CNRS deux mois avant (et les 3-4 bons candidats qu'ils avaient ont tous eu un poste: ils pensaient récupérer les perdants, mais pas de bol...).
- de deux, et c'est dit dans l'article plus haut (la jeune demoiselle l'a appris à ses dépens, j'ai eu la chance d'être plus "drivé"): le plus important dans le dossier, ce sont les pièces qui ne sont pas inscrites au Journal Officiel. Je ne me souviens plus des termes exacts, mais le J.O dit quelque chose du genre: "le dossier comprendra à l'exclusion de toute autre pièce l'attestation du diplôme de thèse avec le rapport du président du jury, un CV résumant les divers travaux passés et présents, l'acte de candidature signé et c'est tout.
Il se trouve qu'un candidat qui se contente de ça ne sera probablement jamais auditionné: après la première sélection (la qualification) qui jugeait un candidat sur sa capacité à réunir un grand nombre de pièces justificatives en un temps record, la deuxième sélection juge un candidat sur sa capacité à se renseigner "sous le manteau", auprès de confrères qui sont passés par la avant lui ou de membres du labo dans lequel il postule. Vous me direz, c'est pas plus con qu'autre chose, et comme de toute façon un candidat qui arrive en touriste sans avoir jamais parlé à aucun membre dudit labo a infiniment peu de chances de passer... autant s'épargner la peine de l'auditionner si possible. Mais cette façon de procéder fait quand même gros bluff moche.
Notamment, il faut joindre un "projet de recherches". Soit, en gros, 5 pages plus ou moins pipot censées décrire vos 5 prochaines années de recherche. Je comprends l'intérêt de la chose au CNRS, puisque la candidature, quand elle n'est pas 'fléchée" (terme qui signifie pudiquement que le lauréat du poste est, sauf gros malheur, déjà connu et que tu peux auditionner si tu veux mais bon, te casse pas trop quand même), se bâtit sur une symbiose labo-candidat: il me semble de bon ton qu'un candidat décrive ce qu'il compte faire dans le labo et pourquoi il est un bon fit. Je trouve ça plus absurde pour les postes de MdC, ou c'est la fac qui décide que tel labo a besoin d'un renfort sur telle thématique: le projet sur lequel le candidat postule est déjà explicité dans le profil du poste. Alors c'est généralement suffisamment flou pour qu'on puisse broder autour: donc j'imagine que ça permet de juger de la capacité d'un candidat à pipoter 5 pages sur une ébauche de 5 lignes... La aussi, faire ça en partenariat avec au moins une équipe du labo, ça aide.
Il peut y avoir aussi un projet d'enseignements, mais c'est plus rare: généralement on vous ne demandera de toute façon pas votre avis, en tant que jeune MdC. Il arrive cependant que le poste enseignement soit spécifiquement ouvert pour l''école d'ingénieurs" de la fac ou quelque chose comme ça, et que donc vous ayiez à proposer quelque chose de plus personnel.
Les lettres de recommandation (cachetées, à l'américaine) sont aussi un plus.
Le CV doit être lui aussi en version américaine (ou académique), c'est à dire franchement fouillé (oubliez le CV d'une page pour les stages d'été), avec notamment toutes les confs, papiers et proceedings, toutes les récompenses à la mords-moi-le-zboub (3ème prix du meilleur poster de la conférence sur les adhésifs epoxy de Ploumigny-en-gelée, ça claque: et personne ne saura qu'il n'y avait que 5 posters). Plus y en a, mieux c'est, même si le rapporteur le lira probablement en diagonale un soir chez lui pendant son caca.
Si vous voulez que votre dossier de candidature ait de meilleures chances d'êtres retenu, et que votre audition ait de meilleures chances de pas trop mal se passer, il est très conseillé de donner un séminaire dans le futur éventuel labo d'accueil. De toute façon, ça vous sera a priori proposé par l'équipe qui vous soutient. Si ça n'arrive pas, j'imagine qu'il faut s'inquiéter.
Autre point important, valable aussi pour le CNRS: il est fortement conseillé de s'assurer qu'on est le seul candidat de l'équipe ou du labo avec qui on est en contact. J'ai entendu plus d'une histoire de mec qui croyait être le candidat soutenu par le labo alors qu'il n'était qu'une espèce de plan B. Après, certains jouent franc jeu et vous disent clairement que vous êtes un plan B: ça ne fait jamais plaisir, mais au moins vous êtes fixé et c'est à vous de voir. Surtout pour les postes MdC, il y a souvent des désistements et finir classé 3ème ou 4ème peut suffire pour avoir le poste. Mais il y aussi des enfoiros qui vous baratinent et la c'est plus grave (surtout pour le CNRS ou les désistements sont exceptionnels).
Pour l'audition, je vous tiendrai au courant, je n'en suis pas encore à ce stade. Quelques remarques cependant:
Les auditions sont au mois de mai, et les dates ne sont pas encore connues officiellement. Je trouve ça sympa pour les candidats en poste à l'étranger actuellement.
Les dates officieuses m'ont été transmises: je postule sur deux postes voisins (i.e. dans la même fac, sur la même section, dans le même labo bien que ce poste puisse être potentiellement affecté à deux-trois autres labos du campus, et les membres de la commission de spécialistes sont les mêmes aux deux tiers). Eh bien il semble que les auditions se situent à une semaine d'écart. Je trouve ça sympa pour les candidats en poste à l'étranger actuellement, qui pour la plupart auditionnent dans le cadre de leurs "vacances".
Loin des yeux, loin du coeur, le système français pourrait se résumer à ça (bis): on pousse très fortement les jeunes docteurs à partir à l'étranger continuer leur formation, mais on ne fait strictement rien pour leur faciliter le retour (tout en déplorant la fuite des cerveaux), entre les bourses supprimées, les mails sans réponses, les invitations non financées, les séminaires déprogrammés et reprogrammés à l'arrache alors que vous avez déjà pris vos billets d'avion, les candidatures étalées sur plusieurs mois et j'en passe. Le système tel qu'il est, bien que l'on clame l'inverse, finit probablement par favoriser ceux qui choisissent de rester en France, ou ceux qui ne restent pas trop longtemps à l'étranger, une fois qu'ils sont rentrés (cf ma situation en commentaires, où on demande à me voir 3 fois 15 minutes, le tout réparti sur trois semaines, comme si je venais du labo d'en face et pas d'un autre continent...).
Je n'ai pas candidaté aux US. Mais de tous les échos que j'ai eu, que ce soit pour des postes dans le public ou dans le privé, ça se passe comme ça: il y a une première sélection drastique basée sur le CV et éventuellement un ou plusieurs entretiens téléphoniques. Mais ensuite, si on vous auditionne de manière officielle, apparemment on vous fait sentir qu'on vous prend un minimum au sérieux: la boîte ou la fac vous fait venir à ses frais, plusieurs jours, pour des entretiens exhaustifs avec plus ou moins tout le monde. Après, ça peut se passer plus ou moins bien et ça n'implique pas qu'on vous proposera le poste: mais au moins on vous traite de façon respectable.
En France, il me semble qu'on cherche à vous faire comprendre que vous devez déjà vous estimer heureux qu'on vous auditionne, et qu'en conséquence vous n'avez qu'à fermer votre gueule: si vous n'êtes pas content, on n'aura pas de mal à trouver quelqu'un d'aussi compétent que vous, ou tout au moins disposé à être plus conciliant.
Faut vraiment être un français moyen comme moi, persuadé qu'on ne peut vivre heureux qu'en France avec 2000 euros par mois tout en étant considéré comme une feignasse de fonctionnaire, pour avoir envie de revenir. Je suis sûr qu'ils le savent et jouent sur la fibre patriotico-sentimentalo-familiale, les enfoirés. Ou alors, vu qu'il y a tellement peu de postes, ils auront toujours suffisamment de bons candidats un peu masos pour se présenter et donc ils s'en battent... allez, je m'énerve et je raconte des conneries, je sais même pas qui est ce "ils" dont je parle.