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  • : La vie au labo
  • : Les pensées - j'ose le mot- diverses d'un jeune scientifique ayant obtenu un poste académique à l'Université, après presque trois années en post-doctorat dont deux au fin fond du Massachusetts. Ca parle de science (un peu) mais surtout du "petit monde" de la science. Et aussi, entre autres, de bouffe, de littérature, de musique, d'actualité, etc. Et de ma vie, pas moins intéressante que celle d'un autre.
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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 09:34

Commençons par quelques précisions je l'espère pédagogiques, pour les égarés que ça pourrait intéresser, sur les différences entre les auditions pour les postes CNRS ("chercheur" ou "chargé de recherches") et les auditions pour les postes MdC ("maître de conférences" ou "enseignant-chercheur").*
Pour ceux qui savent déjà tout ça, vous pouvez passer au paragraphe suivant...

- Les postes MdC sont affiliés à une université. Chaque université, lorsqu'elle reçoit le feu vert du ministère, publie une offre de poste concernant un (parfois plusieurs) de ses laboratoires. Théoriquement, les postes peuvent être proposés n'importe quand avant le début de l'année universitaire, même si pour des raisons historiques d'avant la loi de réforme sur l'autonomie des universités, la plupart des auditions ont lieu au mois de mai. 
Pour chaque poste où on veut postuler, il faut remplir un dossier de candidature, l'envoyer à l'Université de tutelle, puis si tout se passe bien effectuer une audition devant une commission composée de 50% de chercheurs du laboratoire d'accueil, et de 50% de chercheurs extérieurs, censés en théorie apporter la touche crédibilité, faire rempart au localisme etc (en pratique, comme le microcosme de la recherche française est vraiment micro, surtout sur une thématique donnée, tout le monde se connaît bien et les amitiés ou inimitiés jouent souvent malgré tout un rôle non négligeable).
Bref, si 4 postes en France m'intéressent, je dois préparer quatre dossiers et éventuellement passer 4 auditions, à chaque fois sur place, à mes frais bien sûr.
- Les postes CNRS, c'est un peu plus simple, en tout cas c'est centralisé: tous les postes ouverts par le CNRS, plus ou moins détaillés, sont publiés chaque année en même temps (en décembre), par sections ou grands thèmes de recherche. Au sein d'une section donnée**, on peut candidater sur plusieurs postes, mais quoi qu'il en soit on ne soumet qu'un dossier de candidature et on ne passera qu'une seule audition, en mars, devant une commission de spécialistes - un jury, composé de chercheurs généralement plutôt reconnus- qui reste en poste pendant 4 ans. Si vous candidatez sur plusieurs postes, c'est ensuite la commission qui s'occupe de dispatcher les candidats retenus sur les postes les mieux adaptés. Autre différence, fondamentale: au CNRS, la candidature est en quelque sort un binôme candidat-labo d'accueil (voire un trinôme candidat-labo d'accueil-projet de recherches). Bref, au moment de votre candidature, vous devez préciser dans quel labo vous souhaitez être affecté si vous obtenez le poste***. Normalement, vous serez jugé non seulement sur votre CV, mais sur votre adéquation avec le labo choisi. Si rien n'empêche légalement que vous proposiez un laboratoire sans l'avoir jamais contacté, dans la pratique je pense que c'est quasi éliminatoire.
Enfin, alors que les bons labos font tout de même une sélection importante pour les auditions d'un poste MdC (disons 25-50 candidatures pour 6-10 personnes auditionnées), le CNRS, bien que paradoxalement un poil plus compétitif, auditionne tout le monde - sauf ceux qui ont oublié de fournir leur attestation de soutenance, la photocopie de leur passeport, ou de cliquer sur valider bien sûr. 

Alors voila, peu après la bataille du CNRS, dans la section où j'ai candidaté, petit résumé chiffré:

- 9 postes en CR2**** dont 2 très très fléchés (exemple de ce qu'est un poste fléché: «nouveaux dispositifs microfluidiques pour des applications en recherche médicale et pharmaceutique» affecté au LPN), et 4 "semi-fléchés" (thématique plus vaste et/ou plus grand nombre potentiels de labos d'accueil). Bref, je ne joue que pour 4 postes, 6 s'ils décident d'élargir un peu leurs critères comme cela arrive parfois en cas de pénurie de bons profils.
- 77 candidats auditionnés sur 2 jours.
- 17 membres de la commission répartis en 12 sous-jurys de 4-5 personnes (un membre pouvant faire partie d'un sous-jury le matin et d'un différent l'après-midi), auditionnant chacun 6-7 candidats. 
- En moyenne, 8 dossiers à rapporter par membre de commission, en 8 semaines - il y a aussi des postes de CR1, DR2 etc. 
- 15 minutes de présentation, 12 minutes de questions, devant un sous-jury au hasard comprenant votre rapporteur, celui qui a lu plus en détails votre dossier de candidature envoyé quelques mois auparavant, et ne comprenant pas de personnes avec qui vous avez directement travaillé ou chez qui vous postulez. 

Je ne suis pas le premier à le dire mais bon, les chiffres aident à se faire une meilleure idée.
C'est tout de même un peu sidérant de jouer un recrutement "à vie"*****:
- sur le rapport d'un "spécialiste" qui, outre le fait qu'il n'est pas forcément très intéressé par vos activités, a une bonne demi-douzaine d'autres dossiers à évaluer dans une période de quelques semaines, alors qu'il est par ailleurs souvent directeur de laboratoire ou d'équipe, enseignant etc. 
- sur  très précisément 27 minutes d'audition.
- devant une sous-commission de 4 personnes, qui ne voit elle-même qu'une fraction des candidats. Il me semble difficile ensuite d'harmoniser tout ça: si les dossiers et projets sont sensiblement équivalents, comment déterminer vraiment objectivement que le candidat 6 devant le sous-jury 8 est meilleur que le candidat 2 devant le sous-jury 11? N'était-ce pas parce que le sous-jury 8, aux thématiques éloignées, n'a rien bitté à ce que racontait number 6, alors que number 2 connaissait personnellement 3 membres de son sous-jury?******

Je ne cherche pas à dire que tout est pourri au royaume du CNRS: les recrutés ne sont jamais des chèvres choisies pour faire plaisir à un grand manitou, contrairement à ce qui peut se produire pour certains postes MdC.
Je souhaitais juste montrer que l'idéal de l'égalitarisme républicain, consistant à dire qu'il faut auditionner tout le monde alors que seuls environ 30% des candidats ont une réelle chance d'obtenir un poste, conduit à une situation où, à mon sens, le facteur chance est, pour distribuer ces 10 postes pour 25/30 bons candidats, plus important qu'il ne devrait être. Ou encore une bonne intention qui génère des inégalités probablement plus importantes qu'un système élitiste qui s'assume.

A part ça, je pense m'être tiré raisonnablement de l'exercice, car présenter les 5 années passées et les 5 années futures de votre carrière en 15 minutes est vraiment un exercice qui ne ressemble à aucun autre. Une présentation correcte, pas de grosses erreurs dans les réponses aux questions même si à froid on se rend toujours compte qu'on aurait pu faire mieux. Mais bon, comme expliqué plus haut, autant on peut probablement se griller en faisant une très mauvaise audition, autant en faire une bonne ne garantit pas grand chose. A part peut-être de faire partie des 25-30 dont le cas va être discuté...
Maintenant, wait and see.
Et, pour décompresser, c'est parti pour la préparation des concours MdC: séminaire mardi à Lyon.



* Oui, je l'ai probablement déjà écrit, mais 5 ans après mes parents n'ont toujours rien compris alors je m'habitue à ressasser.

** La plupart des candidats ne peut postuler que dans une seule section. Certains, avec des profils un peu à l'interface (physique/bio, méca/polymère, chimie/bio etc) peuvent parfois candidater sur deux sections. Dans ce cas-là, ils peuvent soit présenter le même projet aux deux jurys pour augmenter leurs chances de recrutement, soit présenter deux projets différents s'ils ont le temps ou la motivation pour cela. C'est pour cette raison qu'il y a toujours une liste complémentaire dans le classement par section: pour pallier le désistement d'un candidat admis dans deux sections différentes (ou qui a obtenu un poste payé 5 fois plus dans une université américaine, ou qui a finalement choisi d'aller élever des chèvres dans le Larzac).

*** La plupart des labos scientifiques français sont ce qu'on appelle des "unités mixtes de recherche". Les labos sont implantés dans une Université, et y travaillent à la fois des enseignants-chercheurs de l'Université en question, et des chercheurs affiliés au CNRS, qui techniquement ne dépendent pas de l'Université.

**** (chargé de recherches 2ème classe, le poste d'entrée du CNRS, certains candidats plus âgés pouvant candidater directement en CR1).

***** Quand je dis "à vie", ce n'est pas une figure de style: deux chercheurs de ma connaissance qui se sont bastonnés dans une salle de chimie, avec pour conséquences une venue massive des pompiers et du Samu, plusieurs malaises dues aux vapeurs de fioles brisées et une évacuation complète d'un centre de recherches d'environ 500 personnes, ont récolté non pas un licenciement pour faute grave, mais une mise à pied d'un mois (ou 3, je ne sais plus) et une mutation (c'est les labos qui les ont récupéré qui a dû être content). Juste pour rire, précisons que l'un d'eux est désormais ACMO (Agent Chargé de la Mise en Oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité) de son labo...

****** On pourrait aussi s'insurger du fait qu'il n'y ait qu'un poste pour 10 candidats, même si le calcul est un peu plus complexe (avec les postes de MdC, les candidats qui ne se présentent pas au CNRS etc). Mais 1. les apprentis chercheurs que nous sommes ne sont pas les seuls à en "chier" en ce moment. 2. le problème est, contrairement à la façon dont se passent les auditions, loin d'être franco-français. 3. ce n'est pas ce dont j'ai cette fois-ci envie de parler. 4. On en parle très bien ailleurs.

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commentaires

A
<br /> Mix, merci d'avoir poste ce lien, tres interessant.<br /> <br /> <br /> Du coup, je me sens encore plus miraculee pour etre bien en dessous de la moyenne d'age des recrutes!<br />
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M
<br /> <br /> De rien. L'avantage du "mikado institutionnel" dont parle Berger dans les Assises, c'est que beaucoup de chiffres sont disponibles en ligne pour peu qu'on fouille un peu. Parfois, ça permet de<br /> mettre à mal quelques idées reçues (et parfois, ça renforce le cliché aussi...).<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Parce qu'avoir des chiffres est toujours utile, voir ici: âge moyen recrutement CR2: 33 ans, âge moyen recrutement CR1: 37 ans, âge moyen recrutement DR: 45 ans. Même si ici, on a probablement des écarts types très<br /> importants selon les disciplines (certaines recrutent en CR2 avant 30 ans, d'autres très tardivement selon la pression interne). Les recommandations des Assises vont aussi peut-être redéplacer le<br /> balancier vers le jeunisme après plusieurs décennies de "toujours plus d'expériences avant recrutement".<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Eh, et 25% de recrutement étranger (majoritairement européen) en CR2, + de 40% en CR1 (eh oui, le système reste attractif pour certains)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> S'il y a des choses plus précises (des rapports très pointus et intéressants existent pour les recrutements MCF, je les posterai ailleurs), n'hésitez pas à balancer le lien.<br />
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C
<br /> <br /> c'est ça qu'est bien avec ce blog, c'est que je suis toujours au courant en avant première des ragots concernant mes candidatures !! Mais bon, il ne faut pas forcément croire tout ce qu'on<br /> raconte. Et je préfererais ne pas lire certains bruit de couloir (pour rester poli).<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Well, sorry, com effacé. Cela dit, mon propos était surtout d'illustrer que au bout d'un moment quand il y a cinq postes pour 20 ou 30 candidats aussi valables les uns que les autres, c'est<br /> un peu la roulette russe (chose que j'ai de toute façon entendu de la bouche même d'ex-membres de commission, il faut que tout le monde en soit conscient). Ca, je suis intimement<br /> convaincu que c'est la réalité, que l'anecdote en elle-même puisse être plus ou moins exacte. <br /> <br /> <br /> Tu étais à une phase de ta carrière ou tu illustrais sans doute bien, sans rien y pouvoir, les mauvais côtés du système des auditions :) Et comme on s'est beucoup croisé...<br /> <br /> <br /> Et puis le plus important, c'est quand même d'avoir un poste...<br /> <br /> <br /> Concernant les bruits de "couloirs" (ou d'un autre mot commençant par la même lettre), je préférerais moi aussi ne pas les entendre, mais je suis dans un labo où ça ragote beaucoup beaucoup<br /> comparé à mes expériences précédentes ou les permanents se cachaient un peu plus... <br /> <br /> <br /> Quant à leur véracité, elle peut être remise en cause effectivement (parce que quand un chef demande à un membre de commission le pourquoi du comment, il peut y avoir des choses dites<br /> pour ne pas froisser les ego).  Mais depuis que j'entends de première main toutes ces petites tractations et autres arrangements entre amis, je me dis que c'était peut-être mieux quand<br /> je les entendais de très loin: je pouvais au moins faire semblant de me dire que c'était exagéré et me convaincre plus facilement que de toute façon c'était comme ça... Et par exemple, j'ai<br /> une mauvaise intuition pour mon audition de mai...<br /> <br /> <br /> La version de Tom Roud, avec le petit plus volcan islandais: http://tomroud.com/2010/04/19/nuages-sur-le-recrutement-des-chercheurs/comment-page-1/#comment-10230<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Les premiers résultats sont sortis dans mon domaine, pas du CNRS (ce sera la semaine prochaine) mais d'un autre concours. Résultats certains sont passés avec un grand total de 2 articles en 6 ans<br /> voire 3 and 7 ans (avec au total 12 citations en comptant les abstracts de conférences dans ce cas, ça casse pas 3 pattes à un canard). À côté de ça je connais des candidats qui essaient depuis<br /> des années, qui doivent approcher la grosse douzaine de papiers et plusieurs centaines de citations, et qui viennent de se faire jeter une fois encore. Vive la recherche ! Plus ça va plus je me<br /> dis que la méthode la plus fiable et la plus juste serait de tirer au sort.<br /> <br /> <br /> Au moins j'aurai énonomisé du temps, de l'argent et beaucoup d'énergie. J'en ai profité pour écrire un article à la place, c'est plus constructif.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> J'ai pas regardé en détail les accomplissements des heureux élus, mais sur ceux que je connais il n'y a pas scandale: il faut un dossier solide, au moins 2 ans de post-doc, généralement plutôt<br /> 3-4 et environ 1 papier premier auteur/an dans une revue de bon niveau pour avoir une chance.<br /> <br /> <br /> Dans le côté plus "chimie" de ma branche, les postes sont plus rares mais les bons candidats aussi, du coup je connais une fille qui a un dossier équivalent au mien pour qui c'est passé (alors<br /> que chez les physiciens ou meme physico-chimistes, comme la concurrence est plus rude, on dira comme à moi "pas mal mais revenez dans un an ou deux").<br /> <br /> <br /> Après, l'interaction "candidat-labo" est importante aussi, et il vaut sans doute mieux avoir un dossier moyen avec un très bon projet et un labo puissant qui n'a pas recruté depuis longtemps en<br /> soutien qu'un dossier de ouf mais un projet moyen dans un labo pas coté ou pas aimé... C'est un peu con car on recrute un candidat et pas un labo, et qu'un CR a quand même latitude pour bouger,<br /> mais c'est comme ça...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> La plupart des candidats étrangers dans mon domaine sont italiens. Et d'après ce qu'ils me disent la situation est encore pire là-bas. Comme beaucoup d'italiens parlent français, que c'est un pays<br /> latin et que c'est proche de l'Italie, ça attire. Après on m'a aussi raconté que les jurys hésitent beaucoup plus à engager des américains par exemple car ils savent que la probabilité que la<br /> personne se barre après quelques années est assez élevée (et au CNRS le poste est perdu définitivement, il n'est pas recréé). Et ce d'autant plus que la personne est forte. Ce qui crée<br /> malheureusement un petit effet pervers au détriment des meilleurs étrangers. Après je dis ça mais il y en a qui restent, mon co-ddt était américain.<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> Dans le mien effectivement aussi peu d'américains.<br /> Par contre, en sus des italiens (ou je me suis laissé dire aussi que c'était pire qu'en France), des grecs (idem), pas mal d'allemands (parce que là-bas il faut enchaîner l'équivalent de 3 t-t<br /> avant d'être prof), espagnols, anglais, pays du maghreb, des chinois, des russes ou pays de l'est, européens du nord...<br /> Très international comme concours.<br /> <br /> <br />