Quand la transposition d'un concept "provincial" a priori sympathique à la sauce parisienne conduit à une ambiance tout sauf sympathique, justement.
Aujourd'hui, le bar à tapas du Sud-Ouest.
Je ne suis pas le parisien classique qui vénère tout ce qui vient du Sud-Ouest et va retrouver ses racines à Lacanau tous les étés, mais j'apprécie beaucoup la bouffe du Sud-Ouest/Basque (beaucoup de viande et de gras, pas beaucoup de légumes, what's not to love?), et le bar à tapas est généralement synonyme de bon moment, de convivialité, bref l'un de ces endroits où l'on prend le temps de vivre et de se faire plaisir.
Le restaurant s'appelle Dans les Landes (... mais à Paris), il est ouvert depuis pas loin de 2 ans en bas de la rue Monge (75005) et appartient au chef d'Afaria J. Duboué. C'est un bar à tapas, service continu, qui se veut un peu "haut de gamme", avec des tapas recherchés, d'autres plus classiques mais avec des produits de qualité, et des prix un peu musclés, le tout dans une ambiance jeune, virile, faite de tatouages, de barbes savamment mal taillées et de chemises à carreaux.
A l'ouverture j'y voyais un pari relativement risqué: le quartier se sépare beaucoup entre étudiants fauchés qui cherchent surtout de la bière pas chère et personnes d'âge mûr qui aspirent probablement à plus de calme et de confort, et n'est pas vraiment le lieu de pélerinage du trentenaire cadre sup' mais cool ou du foodie qui semblent la cible client privilégiée.
Mais il y avait finalement une niche, le succès est au rendez-vous et le nom du resto est finalement désormais très révélateur de la contradiction observée, je m'explique.
J'en ai déjà parlé, j'y ai dîné plusieurs fois, le plus souvent au bar avec 2 ou 3 copains, et l'ambiance à ses débuts n'était pas mal. On ne prenait pas de réservation, les prix étaient un peu élevés et le service pousse-à-la-conso, mais on pouvait prendre son temps et passer une bonne soirée autour de tapas franchement super bons, les barmen sachant récompenser les bons clients en payant éventuellement leur coup.
Succès aidant, ils ont commencé à prendre les réservations, mais on pouvait encore s'installer au bar ou dehors sans prévenir.
Je n'y étais pas retourné depuis environ un an mais je le gardais en tête pour un repas de groupe, car ils ont dans le restaurant, au milieu de tables de 2 ou 4 personnes, 2 grandes tables d'hôte de 16 personnes et nous y sommes donc allés hier, à 9, après avoir réservé en début de semaine.
Bon, déjà au téléphone, ils précisent bien qu'il faut arriver à l'heure parce qu'il y a un 2ème service à 22h. Autre point relié mais un peu étrange, lorsque l'on est plus de 4 le menu est imposé, on ne choisit même pas ses tapas à la carte: la définition de "groupe" pour tout ce qui est supérieur à 4 peut laisser songeur, de même que le concept de "grignotage imposé". De plus, il est à 38 euros, ce qui n'est pas donné.
Alors, ok, y a de la demande et on comprend vite qu'on va faire en sorte que vous dégagiez vite fait, et on gagne en honnêteté ce qu'on perd en courtoisie. Mais il me semble tout de même que ça va complètement à l'encontre à la fois de "l'esprit tapas" et du concept de "repas de groupe"...
La volonté de roulement rapide apparaîtra plusieurs fois au cours du repas et deviendra finalement un peu pénible:
Nous avions réservé à 20h, à 20h08 il manque un convive, l'un de serveurs nous demande s'il peut commencer à envoyer les tapas. On demande si on peut patienter 5 minutes, heureusement notre ami arrive à 20h11, ouf.
A 21h40, nous avons fini de manger et plusieurs d'entre nous vont fumer une cigarette dehors avant de payer. Un serveur vient faire remarquer à ceux qui sont restés que la table devait être libérée à 21h30. 30 minutes avant le 2ème service? Avec absolument personne en vue attendant pour récupérer la table? Alors qu'on attendra ensuite 15 minutes pour avoir l'addition? Un peu what the fuck, quand même.
Voila, sinon c'est toujours très bon, varié, allant du plus tradi (coeurs de canard au vinaigre, poitrine de porc) à des choses plus subtiles (gambas à la sauce thaï, salade landaise en feuille de brick). Mais le menu imposé à 38 euros fleure un peu le tout bénef pour le resto. En effet, malgré l'inflation du prix des assiettes par rapport aux débuts (plus rien en dessous de 8 euros désormais, et il semble que le nombre de tapas disponibles à la carte a pas mal baissé), 38 euros correspond à environ 4 assiettes par personne. A 9, cela fait quelque chose comme 35 tapas. Franchement, je n'ai pas compté, mais je parierais très fort qu'il n'y a pas eu plus de 25 assiettes au total et qu'on a donc plutôt consommé pour 30 euros max que pour 38.
Au bout d'une quinzaine d'assiettes servies en rafale, on nous demande si on a encore faim ou si on passe au dessert, genre qu'est-ce qu'on est sympa on vous offre du rab si vous voulez. A ce stade là, si des gens disent stop, c'est vraiment le bonheur pour le restaurateur qui vend 20 euros de bouffe à la carte à un forfait 38, et en plus les clients sont foutus dehors en moins d'une heure...
Du coup ils rapportent une demi-douzaine d'assiettes en plus, et puis c'est fini pour les plats, on nous arrache les assiettes des mains puis on a droit à 4-5 assiettes de dessert, merci au revoir.
Et enfin, après avoir payé (53 euros par tête quand même) et alors qu'on est en train de partir (il est 22h00), ils viennent nous voir en disant qu'il manque 50 euros à l'addition. Nous sommes à peu près sûrs de notre coup (9 ingénieurs à table, on sait faire des divisions et des additions) mais on voit bien que nous ne sommes pas crus sur parole. Heureusement tout le monde a payé par CB, on sort donc les tickets, ils passent 5 bonnes minutes à vérifier, nous donnent raison et daignent à peine s'excuser, maugréant un vague "désolé" avant de rebrousser chemin. A ce moment là, j'hésite très fortement à redemander les 5 euros de pourliche laissés pour l'arrondi de la division (qu'on n'a pas proposé de nous rendre, bien évidemment), mais je me dis que ça ne sert à rien d'être aussi mesquin. Pas vraiment de discussion pour savoir si on rajoute un peu de liquide en plus pour le service, néanmoins...
Donc, malgré la bonne voire très bonne qualité de la cuisine et une ambiance "de surface" sympathique si l'on vient à 2 ou 3, ce fut une petite déception pour beaucoup liée à la gestion de la salle. Du coup, si s'asseoir au bar en couple peut être une bonne option pour un dîner, je ne recommande pas vraiment ce resto pour un repas à 8 ou 10 potes.
Certes, l'un dans l'autre nous n'avons pas non plus passé une mauvaise soirée mais les quelques moments relatés ci-dessus laissent tout de même un petit goût amer. Et puis, au même prix, on peut trouver aussi bon culinairement, avec un cadre plus propice aux discussions (la table d'hôte est très large et ne favorise pas les échanges hors plus proches voisins), et où on vous laissera le temps de respirer en vous faisant sentir comme des hôtes plus que comme des empêcheurs de rentabiliser en rond.
Est-ce d'ailleurs un si bon calcul? Dans mon groupe d'amis, ça picole pas mal sur la durée: chez Pramil, on avait descendu 2 bouteilles pour 3 plus des digeos. Ici, on a bu moins d'une bouteille pour 2. Vu la marge sur les pinards (les vins des Landes à 30 euros, je pense que ça laisse de quoi vivre), pas sûr que le calcul soit si gagnant que ça: dans une optique de rentrée d'argent probablement mais finalement pas tant que ça, surtout mis en parallèle du plaisir du client qui dans un cas aura envie de revenir, dans l'autre pas franchement... Ils feraient sans doute mieux de ne pas accepter les groupes, comme tant d'autres à Paris, ce serait finalement plus simple que de ne pas assumer...