A 32 ans, je suis devenu un vrai scientifique moderne.
Je passe mes journées à répondre à des mails, dans des réunions de labo, à chercher des partenariats ou écrire des projets pour trouver du pèze.
Quand je n'en ai pas, j'essaye de négocier au mieux la répartition des crédits du labo. Quand j'en ai en propre, j'essaye de le dépenser en achetant du matos (demander des devis, comparer les devis, négocier les prix, obtenir un devis réactualisé, passer un bon de commande, etc) et en recrutant des étudiants à qui je donne de plus ou moins vagues pistes de recherche en espérant qu'ils soient suffisamment bons pour qu'ils sortent des trucs sans avoir trop besoin de mon aide.
De temps, en temps, quand il y en a 2 ou 3 qui sont partis (si ce sont des stages courts type DUT, M2 etc), j'essaie de recouper tant bien que mal les résultats et d'en faire un tout un minimum cohérent pour le publier. Ce qui peut être une gageure quand on n'a pas fait soi-même une seule manipe, qu'un an s'est écoulé et qu'on compile les résultats de 3 stages*.
Et les seules manipes que je maîtrise vraiment au labo sont celles sur lesquelles je donne des TPs (et un peu celles que j'ai achetées...).**
Je ne me plains pas spécialement, parce que mon directeur de thèse toujours de bon conseil m'avait bien briefé, que j'ai pu observer mon boss de post-doc aux US, jeune aux dents longues, et savais donc que c'était une transition "naturelle" pour une majorité de chercheurs. Et sans être une star qu'on verra à l'IUF dans 5 ans, je pense me débrouiller honorablement.
Cette transition est toutefois arrivée relativement vite pour moi, probablement parce que j'ai intégré une jeune équipe, ni très riche financièrement ni très "assise" scientifiquement, avec un directeur "par intérim" qui a fait beaucoup pour notre visibilité "administrative" mais n'avait pas forcément les compétences et le temps pour nous aiguiller scientifiquement.
Bref, tout ça pour dire que, parfois, je me dis que j'aurais apprécié grandir dans un labo plus structuré "à l'ancienne mode française", avec un senior qui se tape le management proprement dit (au sens le plus vaste possible), où j'aurais pu apprécier encore quelques années la paillasse, même au détriment d'un peu de liberté intellectuelle***. Parce que la paillasse, c'est quand même chouette quand tu peux t'y consacrer à peu près pleinement (quand tu y passes 1h par semaine, c'est juste horrible, l'impression d'être inefficace, incompétent, et presque l'envie de remonter répondre à des mails).
Bon, à part ça l'année n'a pas été mauvaise, 1 article publié, 1 brevet, 1 proceeding, 1 conf' orale. L'an prochain, objectif 3 publis.
* Enfin, j'imagine que c'est comme tout, que ça s'apprend, et qu'au bout d'un moment ça paraît naturel. Mais pour l'instant je galère encore un peu.
** A la base, je suis un expérimentateur pur jus. Pas le type qui construit les manipes à partir du néant, mais plutôt celui qui n'a pas peur de se frotter à des techniques qui ne sont pas dans sa "confort zone". Dans le cadre de ma thèse, il a fallu se taper 1 an de chimie, je m'y suis collé. Il a fallu adapter un test mécanique, je m'y suis collé. Dans mon post-doc il a fallu maniper avec des cellules vivantes dans un labo de biologie, je m'y suis collé. Dans mon deuxième post-doc, j'ai refait de la chimie, de la RMN, etc.
*** Et de facto, je ne pense pas que je me serais super épanoui dans le système US, où la transition que j'ai vécue est la norme (avec probablement 10 fois plus de pression - mais peut-être 10 fois moins d'emmerdes de type administratif au sens large). Bref, je ne regrette pas de ne jamais m'être posé la question de savoir si je voulais y rester ou pas (la question n'avait pas de sens pour moi à l'époque, elle n'en a toujours pas aujourd'hui).