Depuis 6 semaines, j'ai mis un peu d'argent sur un site de jeux en lignes (vous savez, ce truc pas très légal par chez nous), pour y faire un peu de poker avec un chouïa plus d'adrénaline que les parties pour du beurre que je faisais sur ce même site depuis quelques années.
Je pense être un petit joueur potable. Depuis qu'il est à la mode de se faire des parties entre potes, avec pour enjeu 5 euros ou une pizza, j'ai plutôt fait partie des gagnants, en France comme aux US.
Comme j'aime bien ce jeu, c'était aussi un moyen de se jauger un peu dans un contexte différent des soirées entre potes ou collègues.
J'ai placé 40 euros sur le site.
A la base je suis plus un joueur de "tournois", assez prudent, patient et porté sur le long terme. Mais pour cause de connexion internet pécrave qui me déconnectait une fois sur deux et me faisait perdre par paie automatique des blindes, je me suis mis au cash game, où à mon sens il faut être plus agressif, jouer plus de coups etc.
Je joue sur des parties de hold'em no limit à 6 cents la blinde, 10$ l'enchère max, où les joueurs jouent un peu mieux que sur les tables à 2 cents la blinde, et où de plus nous sommes moins nombreux, ce qui rend les choses plus aisées à maîtriser.
La bonne nouvelle, c'est que 6 semaines plus tard, je joue toujours avec ces 40 euros, le passe-temps ne s'avère donc pas, pour l'instant, trop coûteux, ce qui était mon objectif initial: je n'ai jamais pensé devenir millionnaire, mais je ne voulais pas que ça me coûte plus de 10-20 euros/mois.
La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y a deux semaines j'avais doublé mon capital (et que le rêve de millions commençait à prendre forme), et qu'aujourd'hui je n'ai plus que 20 euros...
Plusieurs raisons à cela: je suis devenu un peu trop confiant (le plus gros adversaire du joueur de poker est souvent son ego), et je l'ai jouée un peu trop facile.
Ce fut le début de ma chute.
Il se peut aussi que je sois comme je le pense meilleur en mode "tournoi" qu'en mode "cash game" (peu de joueurs pros excellent dans les deux, après tout).
Mais en tout cas, depuis ces premiers moments difficiles, je me suis calmé, je joue le plus souvent la règle sans trop m'enflammer, et je suis surtout victime d'une poisse globale que j'avais rarement connue pendant un tel laps de temps.
La poisse, au poker, ça se manifeste de plusieurs façons:
- Il y a les coups qui coûtent très chers parce que tu as la deuxième meilleure main possible et que la probabilité qu'un adversaire ait la meilleure est très faible (typiquement, couleur max contre full, brelan contre quinte etc). Et que la main a été jouée de telle sorte que tu n'y crois (n'y pense) pas une seconde (tu devrais).
- Il y a les coups qui coûtent très chers parce que ta main hautement favorite est battue par une river ou un flop qui fait mal au cul (typiquement, paire de dames payée par paire de 9 qui touche 5678 ou AA battu par KK qui touche un troisième K, ou encore brelan de 10 payé par deux paires qui touche son full. Voire plus simplement AK battu par A6 à cause d'un 6 à la river).
- Il y a les coups qui coûtent très chers parce que tu es planqué avec une main improbable, qu'un mec s'excite, que tu te dis que tu vas te gaver et qu'en fait il a une main encore plus improbable que la tienne (brelan de 7 contre brelan de 10).
- Il y a les coups qui coûtent chers parce qu'un adversaire paye quel que soit la relance pour un tirage absurde tant les probabilités sont minces, qu'il finit pourtant par trouver (couleur ou quinte à la river, etc).
- Il y a les coups qui ne coûtent pas très chers mais qui en s'accumulant finissent par faire du chiffre: toutes ces mains où tu relances avec AK et voit 567 au flop, toutes celles ou tu payes avec 78 de trèfle et voit venir AKQ de coeur.
- Et puis, il y a les coups qui ne rapportent malheureusement rien: les mains de ouf ou tu as beau checker pour appâter quelqu'un, tout le monde se couche (ce genre de mains peut même finir par te faire perdre de l'argent quand ta victime finit par obtenir une main encore meilleure que la tienne à force de checks gratuits).
Ces derniers jours, j'ai connu tout ça.
Je n'ai rien pu faire de beaucoup de mes très grosses mains (deux carrés m'ont rapporté au total 20 cents). Et j'ai perdu gros, de l'ordre de 5 euros par coup, dans une petite dizaine de mains proches des exemples décrits plus hauts, qui m'ont toutes été défavorables.
Du coup, j'ai perdu confiance, mon "instinct" a pris un gros coup de froid, je me couche quand je devrais payer, je relance quand je devrais me coucher, je me dis qu'il n'y a pas de raisons que les mains improbables n'arrivent qu'aux autres et je joue donc trop gros pour des cartes qui ne viennent pas, je suis agressif quand il faut être passif et réciproquement, etc.
Et ça m'énerve, ça me pourrit mes journées.
Comme dans tout bon engrenage, je me dis que je vais me refaire, que la chance doit bien finir par tourner ("croyez aux cycles de chance", dixit Patrick Bruel) et je paume encore plus.
Voila, je crois que quand j'aurai perdu les 20 euros qui me restent, je vais faire un petit break remise en cause. Et pendant quelques mois me recontenter de jouer le pack de binouzes avec mes potes, ça me minera moins de perdre.
* Lorsqu'un joueur perd un coup pour lequel il était grandement favori, on a coutume de dire "that's poker"**. Ces derniers jours, on me l'a dit 4-5 fois, et c'est une phrase qui, je peux vous dire, devient difficile à accepter quand on l'entend beaucoup dans un laps de temps très court....
** Le pire exemple que j'ai vu est un gars perdre un coup qu'il avait 99,5% de chance de gagner après le flop. C'est à dire que l'adversaire n'avait que deux cartes dans le paquet pouvant le faire gagner, ces deux cartes devant venir ensemble. L'une est venue au turn, l'autre à la river. Je pense qu'il fallait s'abstenir de dire "that's poker" au perdant, qui plus est sorti du tournoi sur le coup...