Tant qu'il est encore presque temps, petit récit d'un repas à l'Agrume il y a quelques semaines.
L'Agrume est un petit resto perdu dans le 5ème (le coin moche, pas loin de Gobelins, 15 rue des Fossés Saint-Marcel).
Le resto a ouvert fin 2009, et a assez rapidement fait le buzz un peu partout. Oh, pas du niveau de Spring ou Saturne récemment, mais tout de même.
François Simon, ésotérique comme à ses plus belles heures, en a parlé. La presse et les blogueurs aussi. Dès le début 2010, les environ 25 places étaient très demandées, ceci s'étant encore accentué après que le resto a eu les honneurs du New York Times, toujours très suivi des gastronomes américains.
Je suis passé devant par hasard début janvier (j'ai vécu-bossé dans ce coin là pendant pas mal de temps), avant d'en avoir entendu parler. Un resto nouveau et plein dans ce quartier, deux surprises d'un coup...
Puis j'ai lu les critiques, globalement très élogieuses, et mieux compris.
Mon ex-boss, généralement de bon conseil, que ce soit question bouffe ou pinard, m'en avait lui aussi dit beaucoup de bien.
Quand j'ai su que le chef, Franck Marchesi-Grandi, était passé par le Bernardin, ça a fini de me donner envie d'y aller.
Il y a une politique de réservation assez serrée et pénible (pas de répondeur, réservations à prendre entre 10 et 12h chaque jour, ce qui peut se concevoir pour ne pas perturber les services), et il faut compter 10-15 jours pour avoir une table à l'un des deux services. Il m'a donc fallu retenter le coup deux-trois fois avant de réussir à avoir une table.
La déco n'a pas emballé les chroniqueurs, moi je l'ai trouvée plutôt agréable dans le genre qui marche actuellement (sombre et sobre). Mais je ne suis pas très sensible à ce genre de choses généralement. Par contre, j'aime bien le concept cuisine ouverte - comptoir. C'est toujours sympa de voir le chef oeuvrer, même de loin (surtout que dans le cas présent, vu la taille de la salle, on n'est jamais très loin).
Comme c'est de plus en plus fréquent (le Gaigne, le Tourbillon dans ceux que j'ai faits récemment), le resto est tenu par un jeune couple, monsieur (seul) aux fourneaux, madame au service.
Depuis la rentrée, le succès aidant, il y a un serveur supplémentaire, dont on ne comprend malheureusement pas très bien le français, et le menu dégustation en 6 services est passé de 35 à 37 euros. A la carte, comptez 50 euros pour entrée-plat-dessert, mais je suis à peu près persuadé que tout le monde prend le menu.
Voici ce que nous avons mangé:
Homard bleu, couteaux, pomelos confit et gelée de gingembre
Fregola Sarda, parmesan, truffe d'été et speck
Filet de Cabillaud Poché, semoule de chou-fleur à l'orange et à l'aneth
Paleton braisé, mousseline de céleri et raisins
Figue rôtie, crême fouettée et feuilletage
Flan crêmeux de tapioca, citron vert et mangue
Le premier plat fut pour moi le meilleur de la soirée. Il y en a que ça dérange, mais pour ma part je préfère quand ça démarre sur les chapeaux de roue que quand il faut attendre l'avant-dernier plat pour s'enthousiasmer.
Je ne me souviens plus de l'apport des couteaux, mais pour le reste, c'était une très belle association que ce homard (en lui-même moins bien que ce qu'on trouvait à Boston) - pamplemousse et gingembre. La gelée est suprenante de puissance, et l'ensemble parfaitement équilibré.
Le risotto de fregola (une pâte de blé dur, qui a, effectivement, le goût et la consistance de blé) est apparemment un classique de la maison, avec plus ou moins de variations. Moins surprenant, mais éxécution sans faille.
Le cabillaud est bien cuit, la marotte du chef (l'utilisation d'agrumes) relève bien le plat.
Le paleton braisé s'en sort bien aussi, comme les desserts, les trois derniers plats étant plus pépères. Le mélange fruit - crême - feuilletage revient visiblement assez souvent également, les figues sont toujours un plaisir, et le flan de tapioca est très sympa.
Je ne sais pas si c'est l'influence du Bernardin (le chef y est visiblement passé il y a près de 15 ans, mais je ne suis pas allé dans les autres grandes maisons qu'il a fréquentées), mais j'ai énormément apprécié ce repas, et cru y voir quelques similitudes, toutes proportions gardées. Une approche de la gastronomie qui est celle que j'apprécie le plus: des plats simples, épurés, presque "minimalistes". Un ingrédient principal, un condiment ou une sauce, un légume. S'il y a du talent pour des associations un peu sorties des sentiers battus, on n'a pas besoin de plus, basta.
Tout n'est pas parfait, il y a des choses moins inventives que d'autres, mais ce que le chef est capable de faire seul est tout de même assez bluffant. Sa femme au service est prévenante et souriante. A 37 euros, ce menu dégustation est vraiment l'une des très bonnes affaires de la capitale, et je pense qu'il y a potentiel pour un macaron pour ce chef, même si ça ne sera peut-être pas sous cette forme, probablement trop contraignante et limitante.
Un petit point noir concernant la liste des vins, un peu courte (choix comparativement plus large de vins au verre, par contre), et avec une marge qui fait assez nettement baisser le rapport qualité-prix du repas global. Et pas grand chose sous les 40 euros, ce qui est un peu haut je trouve pour aller avec un menu à 37.
Exemple sur un morgon de M. Lapierre 2008 (un peu mon standard expérimental parce que je n'ai pas beaucoup de références en tête), qu'on trouve à 20-25 euros chez un caviste honnête, 15 euros chez le producteur, et qui était en "affaire du mois" à 35 euros à l'Ourcine il y a quelque temps, qui se vendait là à 55 euros.
Disons qu'on n'est plus très loin du facteur 4 qui est la barre haute des coefficients acceptables, quand de plus en plus de nouveaux établissements essaient de proposer des bouteilles à des prix plus raisonnables.
Bref, à savoir en y allant, et se concentrer plus sur l'assiette que sur le verre.
Non seulement la photo est pourrie et ne rend pas du tout hommage au plat - le homard- qui était très bien présenté, mais en plus c'est la seule: pour une fois que j'avais mon appareil sur moi, les piles m'ont lâché.
Pour conclure, je signalerai qu'on n'est jamais plus trahi que par sa propre famille. Alors que je leur clamais depuis deux ans mon envie d'aller goûter la cuisine de Mauro Calogreco au Mirazur (Menton), mes parents et mon frangin m'appellent pour me dire qu'ils vont y fêter l'anniversaire de mon père. Et en plus ils se foutent de ma gueule en m'envoyant un SMS pendant le repas pour me dire qu'ils se régalent et pensent beaucoup à moi.
Mais la vengeance est un plat qui se mange. Froid ou chaud, peu importe. Demain, dans le cadre de la semaine du goût, je visite l'Espadon de Michel Roth. Pour fêter le retour et l'anniversaire de Priscilla.
So Ritzy.
Et tant pis pour la grêve.