Spoiler alert: je vais parler de choses que je ne maîtrise absolument pas, mais nous sommes en France, pendant les périodes de fêtes qui plus est, il est donc important d'avoir un avis sur tout.
J'ai dans mes proches relations un notaire. C'est quelqu'un de plutôt mesuré et d'ailleurs assez pessimiste de nature, il pense donc que sa profession telle qu'elle existe aujourd'hui ne sera plus à moyen terme.
Je ne suis moi-même a priori pas un farouche défenseur des notaires (mais qui l'est vraiment?, comme il le dit lui-même), ou plutôt de leur communication actuelle, que je trouve un peu gonflée.
Néanmoins, il m'a fait quelques remarques intéressantes pour mettre leur mouvement de protestation face à la loi Macron en perspective.
Premièrement, il faut rappeler que les notaires sont régis par un numerus clausus. Eg, ce n'est pas parce qu'on a le diplôme, qu'on peut, contrairement à un avocat par exemple, louer un local et mettre sa plaque devant "M. Michu, notaire".
Il y a en France en gros 8000 notaires (+ 1000 "notaires salariés" qui ne possèdent pas de parts dans une étude).
Il y a 2 façons de "devenir" stricto sensu notaire: racheter les parts (ou la totalité) d'une étude existante (ou l'hériter de papa/maman) ou réussir un concours annuel (chaque année, l'Etat décide qu'à tel endroit, il manque une étude, qu'il faut donc en installer une, et elle est attribuée par concours: soit n études à distribuer, le concours classe les candidats, le 1er choisit là où il veut aller, le 2ème a n-1 choix, etc, jusqu'à ce que toutes les études soit pourvues).
La voie concours est très minoritaire (quelques dizaines de places par an, moins de 20 par an depuis 5 ans). Lorsque l'on réussit le concours, l'emprunt bancaire pour s'installer est "minimal" (en gros, louer ou acheter un local, l'équiper, et acheter le logiciel d'utilisation obligatoire qui vaut dans les 50k€).
La donne est différente quand on rachète une étude. Par exemple, 25% d'une étude à Antibes a coûté à un collègue de ma connaissance 1.2 M€. Il faut donc voir que le notaire débutant souscrit un prêt bancaire avec remboursements du genre 8k€/mois sur 15 ans. C'est d'ailleurs sans doute pour ça qu'il y a beaucoup d'héritiers dans ce milieu. Bien sûr, ce n'est pas de l'argent perdu et la revente de l'affaire en fin de carrière permet de faire un joli complément de retraite, mais ça fait quand même une bonne moitié de carrière avec pas mal de pression.
Bref, le notaire gagne en moyenne 17k€ net/mois. Il faut quand même penser qu'avec ces sommes là on est imposé au global à pas loin de 40%. Une fois le prêt remboursé, bon, on va pas pleurer misère pour eux, mais déjà ça fait moins rêver. D'autant que le notaire est aussi un petit patron, et que quand il rédige des actes, il engage un peu plus sa signature que d'autres parties.
Il faut voir aussi qu'il y a environ 1000 nouveaux diplômés notaires par an. La plupart exerce donc des activités de type "clerc" ou " notaire assistant" (aux rémunérations de type 2k€ net/mois). Les notaires salariés sont aux alentours de 4k€/mois. On est déjà un peu plus loin des nantis même si ça reste confortable.
Le point ici, c'est que le gouvernement veut instaurer la libre installation (eg supprimer le numerus clausus, le concours etc). C'est peut-être une bonne idée en soit, et probablement qu'un certain nombre de diplômés qui font le sale boulot du notaire pour 10x moins seraient contents de pouvoir s'installer. Il est aussi normal que dans une réforme, il y ait des perdants... Mais ici, en gros, on explique à quelques milliers de gars qui se sont endettés à hauteur d'1M€ que demain, quelques dizaines de milliers d'autres peuvent potentiellement venir ouvrir à côté de chez eux, sans avoir à débourser un kopeck. Déjà, on peut comprendre que ça rende un peu jaloux, mais si en plus ça conduit à diviser le revenu par 2 ou 3, le mec commence à transpirer vis-à-vis de son énorme prêt bancaire.
Bon, voila, ceci mis sur la table, je comprends mieux que certains gueulent. Après, il y a quelques poignées de notaires parisiens qui gagnent plus d'1M€/an et tout le monde est d'accord pour dire que ces types là sont dans une situation de rente, qu'il faut faire quelque chose etc. Mais franchement, ce n'est probablement pas eux qui seront affectés le plus par la réforme.
C'est un peu la même problématique avec les pharmaciens (numerus clausus itou, et officines très chères à acheter), ou les taxis avec leurs licences. Dieu sait que je ne suis pas un défenseur des taxis, surtout à Paris, mais on peut comprendre que celui qui a acheté sa licence 300k€ l'ait mauvaise si, sans compensation, demain n'importe qui peut foutre taxi sur sa voiture et se lancer.
Donc, quand on veut flinguer une corporation, et il y a sans doute de bonnes raisons pour le faire, il faut aussi, quand on gouverne, prévoir ces contreparties et compensations. Si on se contente de dire, "c'est comme ça, et désolé mais pour vous c'est dans le cul lulu", c'est un peu normal que ça ne passe pas, surtout si la dite corporation a des pouvoirs soit de nuisance, soit de lobbying.
Je ne sais pourquoi, il semble que ce travail prédictif soit de toute façon inconnu des décideurs. Beaucoup plus localement, je pense à ces formations de chez moi, qui ferment à tour de bras, sans se préoccuper du devenir de ceux qui les ont commencées. "oui, la, ça ferme, ok, mais on a 10 inscrits là, qui ont commencé il y a 2-3 ans et qui donc pourront pas finir, on en fait quoi?" "ah, c'est pas notre problème, c'est pas rentable c'est tout" "au temps pour moi, je croyais qu'on avait comme une sorte de mission de service public" "pardon?"