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  • : La vie au labo
  • : Les pensées - j'ose le mot- diverses d'un jeune scientifique ayant obtenu un poste académique à l'Université, après presque trois années en post-doctorat dont deux au fin fond du Massachusetts. Ca parle de science (un peu) mais surtout du "petit monde" de la science. Et aussi, entre autres, de bouffe, de littérature, de musique, d'actualité, etc. Et de ma vie, pas moins intéressante que celle d'un autre.
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1 décembre 2017 5 01 /12 /décembre /2017 11:25

Les débats sur Twitter sont houleux à ce sujet.

Pour faire court, je m'étonne toujours quand je vois des collectifs de "précaires" (je mets des guillemets car je définis le sens du mot tel que je l'utilise 2 paragraphes plus bas) défendre les postes de demi-ATER (que je vois bêtement comme une aberration), ou se battre contre la limitation de la durée des thèses.

Généralement, assez rapidement, on me fait comprendre que je suis un néo-libéral macroniste à tendance fascisante. Comme le débat sur twitter est souvent complexe, de par la nature même de ce réseau, et encore plus aujourd'hui dans un climat un peu tendu d'indignation quasi-permanente à tous propos, je voudrais profiter du fait que ce blog existe toujours pour poser au calme quelques éléments (au moins, en un sens, je suis chez moi).

 

Tout d'abord, entendons-nous bien sur la définition de "précaire": je ne vais ici parler que des doctorants non financés spécifiquement pour leur travail de thèse (et qui ne sont par ailleurs pas en poste par exemple dans l'Education Nationale). Ce terme s'applique également à tous les personnels en post-formation sur des contrats CDD (post-doctorat, ATER post-thèse, ingénieur d'études ou de recherches etc), même si ici le propos sera axé sur des problèmes concernant les doctorants. Je trouve personnellement abusif de définir un doctorant financé comme "précaire": il est bien évidemment en CDD, puisque financé pendant la durée de sa formation, à ce stade non achevée, et dont la durée normale est de 3 ans.

Enchaînons donc avec la durée des thèses: depuis 2006 au moins (mais probablement bien avant, j'ai la flemme de remonter le temps), il est écrit dans l'arrêté" La préparation du doctorat s'effectue, en règle générale, en 3 ans. Des dérogations peuvent être accordées, par le chef d'établissement, sur proposition du directeur de l'école doctorale et après avis du directeur de thèse et du conseil de l'école doctorale, sur demande motivée du candidat. La liste des bénéficiaires de dérogation est présentée chaque année au conseil scientifique". La durée moyenne des thèses (toutes disciplines confondues) étant de 4 ans, il est probable que l'arrêté n'ait jamais vraiment été appliqué, en tout cas dans sa partie "administrative".

L'arrêté de 2016 se veut plus spécifique: "La préparation du doctorat, au sein de l'école doctorale, s'effectue en règle générale en trois ans en équivalent temps plein consacré à la recherche. Dans les autres cas, la durée de préparation du doctorat peut être au plus de six ans.
Des prolongations annuelles peuvent être accordées à titre dérogatoire par le chef d'établissement, sur proposition du directeur de thèse et après avis du comité de suivi et du directeur d'école doctorale, sur demande motivée du doctorant. La liste des bénéficiaires de ces dérogations est présentée chaque année au conseil de l'école doctorale et transmise à la commission de la recherche du conseil académique ou à l'instance qui en tient lieu dans les établissements concernés."

On précise donc que 3 ans est la durée "normale" en équivalent temps plein. Ainsi, un enseignant du secondaire peut l'effectuer en 6 ans (on omettra ici qu'un enseignant du secondaire sans décharge appropriée occupant déjà un temps plein, le compte n'y est pas vraiment...). Mais je m'étais déjà il y a quelques temps interrogé sur la question subtile de la durée des thèses, n'y revenons pas.

 

Ce qui m'intéresse dans l'arrêté de 2016, c'est le rôle du directeur de l'école doctorale: " L'inscription est renouvelée au début de chaque année universitaire par le chef d'établissement, sur proposition du directeur de l'école doctorale, après avis du directeur de thèse et, à partir de la troisième inscription, du comité de suivi individuel du doctorant. En cas de non-renouvellement envisagé, après avis du directeur de thèse, l'avis motivé est notifié au doctorant par le directeur de l'école doctorale. Un deuxième avis peut être demandé par le doctorant auprès de la commission recherche du conseil académique ou de l'instance qui en tient lieu, dans l'établissement concerné. La décision de non-renouvellement est prise par le chef d'établissement, qui notifie celle-ci au doctorant.
Lors de l'inscription annuelle en doctorat, le directeur de l'école doctorale vérifie que les conditions scientifiques, matérielles et financières sont assurées pour garantir le bon déroulement des travaux de recherche du doctorant et de préparation de la thèse."

Dans l'arrêté de 2006, la "vérification" n'avait lieu que pour la première inscription. Dit autrement (mais je comprends peut-être mal), un doctorant sans conditions de ressources (i.e. qui n'a ni de financement de type contrat doctoral, ANR ou autre pour payer son salaire, au minimum autour de 1650€ brut mensuel, et qui n'est pas déjà employé par exemple par l'Education Nationale ou éventuellement une entreprise privée) ne devrait pas être inscrit (ou réinscrit) en thèse. 

 

Or, que lit-on dans l'état de l'emploi scientifique en 2014 (certes avant la parution du nouvel arrêté, on peut donc penser, sans trop y croire, que les choses évolueront un peu dans l'avenir): sur 65000 doctorants, environ 10000 n'ont aucune source de financement connue par les écoles doctorales (j'entends donc par la qu'ils ne sont pas non plus salariés ou déjà fonctionnaires). Les doctorants en sciences et santé représentent la moitié du total des doctorants, avec environ 5% de thèses non financées. Quand on regarde les autres disciplines, LSHS, droit et économie, on voit donc que 33% des doctorants sont sans financements. Ce qui veut dire que 70% des thèses non financées sont dans ces disciplines (7000 personnes). 

On m'explique donc que, si on corrèle l'inscription en thèse à l'obtention d'un financement par le doctorant (ou par son directeur de thèse, selon les modalités du dit financement), on signe la mort de certaines disciplines.

Pourtant, que voit-on également? Sur ces 65000 doctorants, 25% environ (autour de 16000) ne soutiendront jamais leur thèse. Environ 2000 en sciences (5% du pool de doctorants de ces disciplines), et le reste en droit et LSHS (14000 personnes) soit quelque chose comme 45% du total. 

Je sais que corrélation n'est pas causalité, mais l'envie est forte de faire un lien entre absence de ressources financières (qui plus est pendant une durée longue, puisque les thèses de LSHS durent en moyenne 60 mois contre 42 pour les sciences) et obtention du diplôme (cette corrélation, si elle existe, serait très facile à faire si les ED étaient capables de remonter leurs données au Ministère: je serais curieux de voir de telles données, même à l'échelle de quelques ED). Le lien entre la bonne santé scientifique d'un domaine et part non négligeable de travaux non achevés me semble plus ténu.

 

Précarité dans l'enseignement supérieur, qu'y faire?

Alors on me dit: oui, mais les doctorants sont aussi la pour maintenir la tenue des enseignements à l'Université dans des disciplines en tension. Car en fait, les doctorants sans sources connues de financement sont souvent des vacataires en enseignement de l'Université. On joue ici sur une subtilité du statut de vacataire: si au sens "traditionnel", le vacataire a nécessairement un emploi principal (à hauteur minimale de 900 heures par an, donc en gros au moins un mi-temps), les agents temporaires vacataires ne doivent pas nécessairement justifier d'un emploi principal. Par contre, leur service est normalement limité 96 HETD (un demi-service enseignement), soit un revenu d'environ 3700€ annuel net. Difficile d'affirmer qu'il puisse s'agir d'un "revenu suffisant permettant d'assurer des conditions financières nécessaires au bon déroulement de la thèse". En termes d'ETP, ces situations représentent au maximum 2500 ETP environ sur un total de 50000: on devrait donc pouvoir s'arranger différemment.  

 

Je milite donc (façon de parler, ce n'est pas mon genre) pour un respect littéral des textes: on ne doit pas inscrire en thèse quelqu'un qui n'a pas de moyens de subsistance associés directement à la préparation de son doctorat (et dont le montant minimal est celui fixé par le contrat doctoral). Fut-ce contre son gré. Etre directeur d'école doctoral, c'est probablement assez ingrat, mais ce serait bien qu'ils assument un peu les responsabilités inhérentes.

Avantage de la mesure: elle ne coûte rien, je pense. Elle contribuera aussi je pense à "professionnaliser" auprès des entreprises l'image du doctorat, cheval de bataille des association de promotion du doctorat (même si je sais qu'en tant qu'universitaire je devrais plutôt m'occuper d'élever les âmes, je suis assez bas du front et donc j'aime bien que les gens que je forme aient un boulot - qui ne leur déplaît pas trop et qui n'est pas extrêmement éloigné de ce à quoi on les a formés- à la fin; rappelons qu'un boulot à l'Université est par construction plus une exception que la règle, indépendamment de la pénurie actuelle de poste - sauf à diplômer 5 fois moins de doctorants qu'actuellement ou considérer qu'il faut 5 fois plus de postes académiques qu'actuellement*). 

Concrètement, je comprends que l'on veuille se battre pour que les doctorants qui subsistent via 96h de vacations et 4000€ dans l'année soient payés plus rapidement. J'ai du mal à voir en quoi cela réglera le caractère endémique du problème, par contre. A mon sens, ce n'est pas qu'une question de fric, et même pas principalement une question de fric, c'est avant tout une question de (mauvaises) pratiques érigées en normes de fonctionnement dont on croit ou cherche à faire croire qu'elles sont indépassables (ainsi, l'exemple des contrats d'ATER ou de demi-ATER en cours de thèse là ou, hormis pour les agrégés pour lesquels il existe des règles particulières, un ATER est normalement un contrat pour les docteurs, un doctorant sur un poste d'ATER s'engageant a priori à soutenir sa thèse avant la fin du dit contrat).

 

Pour revenir sur la durée des doctorats: imaginons la faire passer à 4 ans. Cela revient à augmenter de 33% le budget des contrats doctoraux, mais aussi des dotations CIFRE, des budgets de personnel dans les  ANR etc. Je n'ai rien contre discuter de mesures qui coûtent très cher, mais il faut le mettre sur la table dès le départ (et être aussi conscient que demander +33% pour quelque chose, quel que soit le contexte, est un souhait qui a peu de chances d'être exaucé). Je n'ai rien contre les inscriptions en 4ème année dérogatoires non plus, mais la aussi il faut un peu responsabiliser les directeurs de thèse là où ça ne se fait pas: si le doctorant ne soutient pas dans les temps définis comme "normaux", au directeur de thèse de trouver le financement adéquat pour terminer le travail. 

 

Et pour conclure, car je sais qu'on me reprochera d'être un scientiste, qui, en plus d'être obtus, pique tous les financements et tous les postes aux malheureux "mous". Qui est le plus mal loti? Je vous laisse méditer le petit graphe ci-dessous. Ca n'a pas nécessairement grand chose à voir avec le reste de l'article (encore que), mais j'ai fait ça un peu par hasard récemment et je trouve que c'est très parlant.

 

 

* ce qui ferait en gros doubler le nombre d'enseignants-chercheurs en 10 ans

** 

Précarité dans l'enseignement supérieur, qu'y faire?
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commentaires

C
Il n'y a pas forcément corrélation directe entre non financement de la thèse et non soutenance. Pour moi c'est plus compliqué, et ça vient aussi de l'esprit des matières non scientifiques. Il est connu qu'en lettres/sociologie le directeur de thèse est éminemment absent. On ne le voit que quelques fois par an, rien à voir avec un labo de recherche où le directeur est (en tout cas en France) très présent. Le thésard est donc livré à lui-même et à mon avis c'est avant tout la raison principale de ce taux d'échec supérieur. Le fait que le thésard ne soit pas rémunéré a-t-il contribué à l'établissement d'un système où le directeur de thèse est absent et prend trop de thésards ? Sans doute, mais si le thésard était mieux encadré et toujours pas payé, je pense que le taux d'échec diminuerait fortement. Il faudrait alors limiter fortement le nombre de thésards par encadrant. <br /> <br /> La solution n'est donc ni blanc ni noir, il faut laisser de la souplesse dans les règles tout en les encadrant. Comme le dit Denys, il y a des thésards qui peuvent subvenir à leurs besoins (mais en quelles proportions ?). Faire passer la thèse à 4 ans ne m'apparaît pas non plus comme la solution, il y a énormément de thèses inutiles, rêvées par un directeur qui a du réseau mais pas d'idées, 4 ans ça les ferait durer encore plus longtemps. Je plutôt pour un système plus souple, où une prolongation de 6 mois est pré-financée dans la thèse (les fonds sont là) et devient plus facile à obtenir. Un thésard qui a enseigné beaucoup durant ses 3 ans devrait pouvoir y accéder plus facilement, de même qu'un thésard qui a eu un arrêt maladie de plusieurs mois. C'était mon cas par exemple, et ça a servi d'excuse à mes directeurs pour me faire faire une quatrième année (8 mois de plus plus exactement, l'arrêt maladie ayant été de 3 mois), payé par Pôle Emploi. Il y a aussi énormément de thèses en biophysique récemment, c'est là qu'est le pognon, et la bio réclame bien plus de temps, pour la reproductibilité, la culture des cellules etc... Nombre de thésards en biophy n'ont pas de publi quand ils sortent de thèse et galèrent à trouver un emploi. Ajuster la durée de la thèse par rapport aux spécificités des matières m'apparaît aussi judicieux. On a voulu l'indépendance des universités, qu'on leur donne alors...
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D
Alors, je vais me permettre un commentaire violemment ethnocentré et largement issu de mon expérience personnelle. A un âge déjà bien trop avancé pour entamer une carrière universitaire, laquelle n'a de toutes façons jamais fait partie de mes objectifs, j'ai accompli, à compter de novembre 2009, un parcours de doctorat en sociologie à l'université Paris 8, parcours qui a pris fin avec une soutenance en avril 2015. Un peu plus de cinq ans, statistiquement, dans ces matières, c'est la norme : je crois l'avoir déjà dit, j'ai été le deuxième de ma cohorte à soutenir.<br /> <br /> Dans mon école, les dérogations à partir de la quatrième année sont accordées contre des preuves d'avancement des travaux : un plan détaillé pour la quatrième, quelques chapitres rédigés pour la cinquième, un mémoire quasi-terminé pour la sixième et, en principe, dernière. Que ces preuves soit examinées avec soin ou de manière purement formelle relève d'un autre débat. Mais cette procédure me semble légitime, réaliste, apte à rejeter ceux qui font juste semblant d'être là et parfaitement compatible avec ce que tu présentes de cet arrêté de 2016.<br /> <br /> Par contre, je ne vois pas comment justifier ton exigence de "moyens de subsistance associés directement à la préparation de son doctorat" comme préalable à l'inscription. Elle conduirait d'abord à interdire à des gens comme lui http://www.theses.fr/1990TOU20010 oui lui http://www.theses.fr/2009PA010523 - au passage, notons qu'ils sont tous deux polytechniciens - de s'occuper pendant leur retraite, et cela alors qu'ils ont largement les moyens de subvenir à leurs besoins. Et non, il ne s'agit pas juste d'un cas particulier, que l'on se doit, avec regrets, de sacrifier au nom de l'intérêt général. J'ajouterai que s'inscrire en thèse, ça ne se fait pas du jour en lendemain, puisqu'il s'agit de l'aboutissement d'un cursus de cinq ans, lequel prend fin avec ce master recherche dont on nous a seriné qu'il fallait le considérer comme "une première année de thèse".<br /> Dans le labo où j'étais, l'inscription était subordonnée à la note obtenue en master (je ne me souviens plus s'il fallait avoir eu 12 ou 14) Moi, à mon M2, j'ai eu 18, et je vois mal comment on peut justifier d'interdire à un gus qui a eu 18 à son M2 de continuer, sous quelque prétexte que ce soit, en thèse. En d'autres termes, si tu veux une sélection implacable sur des critères stricts, il faut la mettre à l'entrée en master.<br /> <br /> Et puis, surtout, et j'en viens à mon dernier point : quel intérêt ? Ici, la sociologie fournit un cas d'espèce intéressant puisqu'elle partage avec quelques autres disciplines - la linguistique par exemple - le fait de ne pas ouvrir à grand chose d'autre qu'à une carrière universitaire, la voie de l'enseignement secondaire de sciences économiques et sociales étant bien plus accessible aux économistes qu'aux sociologues. Or, en faisant abstraction du nombre de postes, tout le monde n'est pas à égalité lors d'un recrutement de MCF. Les données que l'on trouve sans difficulté montrent combien, dans les universités d'Île-de-France, ces postes vont d'abord aux diplômés des grandes écoles du domaine, EHESS, ENS, SciencesPo. Parmi les doctorants que j'ai côtoyés un seul, à ma connaissance, a été recruté, et il est normalien. Si l'on s'engage, à l'âge habituel soit autour de 23 ans, dans une thèse de sociologie à Paris 8, on ne peut ignorer que, selon toute probabilité, elle n'a pas de finalité professionnelle directe, sauf précisément à vouloir, ou prétendre, ignorer ce fait.<br /> On a le droit d'être bête et ignorant, jusqu'à un certain âge : à mon sens, à 23 ans, cet âge est largement atteint. Que les "précaires" revendiquent leur refus de la réalité, ça les regarde. Que les enseignants, avec une belle hypocrisie, leur apportent un plein soutien qui ne leur coûte rien, cela ne m'étonne pas. Que l'on puisse régler cette question de façon préventive avec ton exigence de financement me semble irréaliste, inefficace, et propre à ton point de vue ethnocentré de "sciences appliquées".
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