Je suis aujourd'hui très sceptique sur les MOOC, Massive Online Open Courses (ou CLOM en français), peut-être un peu de façon subjective, mais quand même aussi pour plein de raisons plus concrètes que je vais essayer de lister ici, de façon très désordonnée, en espérant que ça me serve de base pour quelque chose de plus poussé quand j'aurai plus de temps.
- Tout le monde en parle comme de la prochaine révolution. Ou plutôt, tout un "petit monde" en parle, pendant que l'étudiant moyen, celui que je croise en cours et à qui c'est censé s'adresser à plus ou moins long terme, n'en a jamais entendu parler. Comme beaucoup de buzz words ces derniers temps, j'ai surtout l'impression que ça buzze parmi l'intelligentsia. Comme tous les concepts révolutionnaires censés changer le monde apparus depuis 2-3 ans, je me méfie (mon côté réac).
- En conséquence, la définition de ce qu'est un MOOC est très aléatoire. Si quelques blogs pédagogiques prennent le temps de détailler ce que cela devrait être, trop de "faiseurs d'opinions" utilisent le terme à tort et à travers.
- Le ministère vient de pondre un plan France numérique ultra-ambitieux, au moins en paroles, mais se garde bien d'aborder les questions concrètes.
Celles-ci peuvent être très bêtes:
- quel est le public visé? Des étudiants "classiques"? Des salariés pour des formations "tout au long de la vie"? Des retraités ou "oisifs", comme les conférences du Collège de France?
Cela servira-t-il à mutualiser les connaissances et les moyens notamment pour le premier cycle universitaire, en clair "diminuer les amphis" comme le dit la Ministre (et dans ce cas, que fait-on des enseignants-chercheurs, voir ci-dessous?), ou au contraire réservé plutôt à des cours de master spécialisés (et dans ce cas, a-t-on besoin de "massive")?
Cela servira-t-il à suivre un diplôme complet, ou plutôt pour des compléments de connaissance pour des cursus à la carte ou des employés (dans le cadre de la DIF par exemple)?
Les MOOC sont-ils adaptés pour révolutionner tous ces cas de figure? Cela me semblerait surprenant.
- comment, si l'on pense que c'est la piste à creuser, "certifier" les MOOC, en faire des formations diplômantes? Pour des gens déjà fortement diplômés, il est largement envisageable de "vendre" lors d'un changement d'emploi ou d'une reconversion le suivi d'un MOOC, éventuellement "validé" par l'organisme, mais est-ce vrai pour des personnes faiblement qualifiées?
Il faut savoir qu'en France, beaucoup d'industriels ne reconnaissent déjà pas en interne les diplômes obtenus en formation continue même si ceux-ci sont approuvés par la CTI ou autres. Peut-être dans 30 ans pourra-t-on se passer de diplômes, aujourd'hui c'est moins sûr. Surtout en France, où il a historiquement une importance démesurée, mais même ailleurs: il faut trouver un moyen de "valider l'acquisition de compétences/connaissances". Dire "ah ben j'ai fait ça chez moi entre deux matchs de foot à la téloche mais je vous jure je suis au taquet" ne convaincra pas grand monde.
Cette question est ouverte, même aux USA, le premier master entièrement MOOC venant tout juste d'ouvrir, et encore largement qualifié de "pari" par l'université le proposant. Le master en question est "sponsorisé" par AT&T, le Orange ricain. Est-on prêt à ce genre de choses en France, où le "master mcdo" empêche de dormir Sauvons l'Université depuis le passage de Pécresse?
A l'heure actuelle, je vois donc ça plutôt comme un "bonus" pour yuppies que comme un véritable instrument de démocratisation de la connaissance, fort argument de vente des MOOC. Je peux me tromper.
Ce qui soulève une autre question:
- quid de la fracture numérique? Je dispense des cours qui ne sont ni massive ni open, mais qui sont online, à un public parisien, employé. Une partie non négligeable de mes étudiants est pénalisée tout simplement parce qu'ils n'ont pas un accès constant à internet. Eh ouais.
- comment peut-on proposer des formations "techniques", "pratiques"?
- Quels moyens en local? Oui, il y a 12 millions d'€ pour une plateforme nationale, mais comment dégager du temps et des moyens pour les enseignants-chercheurs, au sein de leur université, pour réaliser des MOOC, quand la moitié d'entre elles a d'immenses difficultés financières?
C'est bête et triste à dire, mais pour beaucoup de collègues dans différentes universités, l'encouragement à produire des MOOC et la réflexion qui devrait en découler, puisqu'on nous serine que c'est le summum de l'innovation pédagogique, sont limités à "ben vous vous filmez devant votre ordi avec votre webcam - ou on met une caméra dans l'amphi pour les plus riches- et on fout ça en ligne avec un poly et c'est marre". Et bien sûr, "vous faites ça sur votre temps libre, entre 2 AAP et 150h d'HC" ou encore "MOOC et présentiel, on ne vous compte bien sûr qu'une modalité d'enseignement sur le service, le reste c'est cadeau".
Toujours dans le cadre de mes "online courses", je peux vous assurer que, dans ce schéma basique, beaucoup d'étudiants regrettent le bon vieux temps où ils pouvaient assister au cours. Avoir la possibilité de dialoguer avec le prof par mail, c'est chouette, mais pour beaucoup, le caractère old school de la salle de classe est le seul moyen de se motiver et de se concentrer. Ca n'est peut-être qu'une manifestation temporaire du syndrome "c'était mieux avant", mais comment en être sûr sans recul?
Qui est prêt à financer des décharges de service, à dégager du temps aux enseignants, à leur donner des moyens technologiques, pour rééllement être innovant pédagogiquement? Ils le font au MIT, Polytechnique ou l'ENS pourront peut-être le faire, l'Université de Bourgogne peut-être pas.
- Quel est le modèle économique des MOOC? Coursera est une entreprise privée, comment compte-t-elle gagner son pognon? Visiblement par le biais des "certificats" (en gros, on suit en candidat libre gratuitement, mais pour obtenir le certificat on paye). Souhaite-t-on faire la même chose en France? Cela ramène à la question précédente: là où cela permet de diminuer les coûts aux US, cela les augmentera-t-il en France?
Une plateforme d'Etat est-elle, encore une fois, la réponse appropriée, d'autant plus quand on proclame l'autonomie des universités?
Enfin, j'y reviens, quid du devenir des enseignants-chercheurs dont les cours seront MOOCés? Sans aller voir le complot à moyen terme pour tailler dans le gras, la question mériterait d'être discutée ouvertement.
Bref, voila quelques questions que je me pose. Toutes ne sont peut-être pas légitimes et vous avez le droit de me le démontrer en commentaires. J'aimerais simplement que ces choses là soient discutées concrètement, que l'on fasse un peu dans le basique plutôt que dans les envolées lyriques. Sans quoi je continuerai à me méfier.