Les règles administratives liées à gestion des activités de recherche, en France, sont je pense globamement pénalisantes tant pour le bon fonctionnement d'un organisme que pour la qualité de la production.
On peut lister rapidement (je l'ai déjà fait plus souvent qu'à mon tour) une non réactivité absolue, une volonté de surmultiplication des contrôles a priori et d'engagement par signatures, l'incapacité à parler anglais quand ce n'est pas à comprendre que le fournisseur matériel ne se trouve pas toujours dans nos frontières et que les étrangers n'ont pas forcément un RIB société générale, les problèmes financiers des organismes -multipliés depuis la RCE- qui poussent à faire de la rétention de crédits, les périodes de clôtures budgétaires infiniment longues, le refus de la responsabilité ("moi j'y peux rien c'est la règle - ou c'est la faute du service d'à côté- ou encore, mais nous sommes en sous-service soyez indulgents") voire parfois la méconnaissance des dites règles poussant à la création de procédures purement internes qu'on présente comme essentielles, l'obsession des fournisseurs marchés publics qui vendent tout sauf ce qu'on cherche, l'amour très 80's du papier rendant quasi impossible l'"achat en ligne", qui n'en déplaise aux huiles, s'est suffisamment démocratisé pour concerner aujourd'hui autant Sigma-Aldrich qu'Amazon, et j'en passe...
En clair, ça explique qu'il faille 2 semaines pour commander un bécher, pas loin d'1 an pour du matos à quelques dizaines de kilos euros, et 6 mois pour se faire rembourser son congrès à Chalon-sur-Saône. Qu'on apprenne par le fournisseur 2 mois plus tard qu'un contrat a été annulé unilatéralement par l'administration sans raisons explicites, comme cela m'est arrivé récemment. Qu'il faille fréquemment une dizaine de coups de fils à 3 interlocuteurs différents pour faire bouger le schmilblick là où, dans un monde où les choses fonctionneraient bien, il suffirait de donner le devis à la bonne personne. Voire, soyons fous, de passer nous-mêmes nos commandes au moins pour les "consommables", par le biais d'une carte alimentée par nos contrats recherche, comme cela se pratiquait, visiblement sans problèmes majeurs, dans mon département américain.
Et donc, ce qui se passe, c'est que les laboratoires ou organismes suffisamment puissants/prestigieux/à la pointe scientifiquement n'ont qu'une priorité: trouver un moyen de contourner ces règles.
Fleurissent ainsi des organismes de gestion internes (au laboratoire ou à l'institution), bien réels même si je m'explique difficilement leur existence ou la possibilité même de leur existence (des vestiges d'un temps ancien peut-être, ou un symbole de "puissance" suffisante pour s'affranchir des règles du tout-venant comme évoqué plus haut ? - ce qui ne serait pas impossible, nous sommes en France où les vestiges de l'ancien régime perdurent, mais j'y reviendrai en conclusion-).
Donc, ces organismes de gestion s'occupent de vos contrats recherche (j'imagine qu'il s'agit dans une très grande majorité de contrats avec des partenaires industriels, mais je connais aussi des organismes qui peuvent gérer des ANR et autres), et contrairement aux services centraux universitaires ou EPST, ils ont le bon goût d'être réactifs et de ne pas poser de questions, en échange d'un prélèvement plus ou moins élevé (souvent substantiel d'ailleurs) sur les dits contrats.
Les avantages, c'est entre autres qu'on s'affranchit des fournisseurs marchés publics et que l'on peut acheter où on veut, que les gestionnaires se démerdent avec votre devis et que vous avez le temps de faire des choses plus intéressantes, qu'on peut avoir des avances relativement facilement et être remboursé rapidement, qu'on peut inviter un industriel, lorsqu'on évoque un partenariat de 3 ans à 200k€ ailleurs qu'au couscous-PMU d'en face parce que sinon on dépassera le plafond de remboursement, ou loger ailleurs que dans le 1* qui sert aux passes en face de la gare quand on part en mission dans une ville chère, etc. Cela permet sur des reliquats de financement de payer quelqu'un qui n'était pas prévu quelques semaines-mois de plus, de donner un complément de salaire ou de s'affranchir des grilles de la fonction publique pour certains candidats, de ne pas être bloqué deux mois sans pouvoir passer une commande parce que les comptes sont fermés...
Bref, pour résumer, le gros avantage c'est de donner la flexibilité et la réactivité qui, qu'on le veuille ou non, sont nécessaires pour faire de la recherche de qualité dans un contexte de "compétition internationale" (dont je ne discuterai pas ici le bien-fondé, mais qui existe), tout au moins dans les domaines assez expérimentaux que je fréquente.
Mais il y a aussi des inconvénients potentiels, que l'on peut imaginer facilement tant ils sont corrélés aux avantages, et que l'on peut résumer comme suit: les risques de dérives.
Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais j'ai été témoin, direct ou indirect, ici et là, de pratiques "douteuses" au moins d'un point de vue de l'éthique: contrats de partenariats industriels dont une partie des crédits finissent dans la poche du chercheur sous couverts d'activités de "consulting" (on peut aller faire directement du consulting avec la boîte, pas de problèmes, mais se payer un complément de salaire sur les crédits d'accompagnement quand on a une thèse ou autre avec un industriel, ce n'est pas pareil), utilisation de crédits pour le paiement de voyages persos ou de matériel qui n'est visiblement pas à l'usage du laboratoire (changer d'ordi portable tous les 6 mois, ce n'est pas très raisonnable) quand ce n'est pas encore plus direct.
J'ai également beaucoup entendu gloser sur le salaire du responsable d'une telle structure, qui atteignait les 200k€ annuels. Les sources sont multiples et pour certaines de première main, et je crois donc à la véracité de cette assertion même si la seule chose que je peux confirmer c'est que le type se ramenait en Porsche Cayenne ou Audi Q7 (je ne suis pas très voiture) le matin et que sa voiture se remarquait bien au milieu des Corsa des chercheurs.
En conclusion, c'est me semble-t-il un schéma assez typique par chez nous: par crainte de dérives (tout utilisateur étant un fraudeur en puissance), on crée un système ultra-rigide où il y a quasiment plus de contrôleurs que d'acteurs, qui paralyse le tout-venant.
Ceux qui ont les moyens, le pouvoir, la réputation nécessaires font alors en sorte de s'en affranchir pour mettre en place un système complètement opaque et hors de tous les règlements en vigueur. Qui permet de se donner les moyens de son ambition, mais parfois au détriment de certaines bases déontologiques.
C 'est par exemple, si j'ai bien compris, ce que la Cour des Comptes a expliqué à propos de l'IEP Paris période Descoings et la défense de l'institution fut d'ailleurs en gros "nous nous sommes donnés les moyens de l'excellence et il n'y en a pas d'autres".
Aucune de ces deux options, l'une étant la conséquence logique de la mise en place de l'autre, ne me semble très positive. Je reste persuadé que les fraudeurs sont ultra-minoritaires et que leur proportion n'est pas directement impactée par la qualité des contrôles (eg qu'il y a une proportion toujours à peu près constante de gens qui seront prêts à passer beaucoup de temps pour détourner le système à leur avantage) et qu'il est donc absurde de bâtir tout un protocole sur la mise au pas de cette minorité.
Si l'on donnait aux 99% de gens honnêtes et consciencieux les moyens et la liberté d'être efficaces, on éviterait de créer des systèmes parallèles qui ne font que conforter encore plus une recherche à 2 vitesses et incitent à la pratique de méthodes douteuses, mélange de culture "latine" et de préservation d'une caste persuadée qu'elle est intellectuellement au-dessus des règles contraignantes qu'elle définit pour la populace.