Ce week-end, je me baladais sur l'avenue près de Saint-Germain. En bon parisien, je n'avais pas le coeur ouvert à l'inconnu, et j'avais encore moins envie de dire bonjour à n'importe qui. Je l'ai peut-être déjà écrit (la sénilité me guette): l'air agressif et pressé "viens pas m'emmerder" est un des côtés que le provincial venu conquérir Paris conquiert le plus vite, justement. Qu'est-ce qu'il est moche, ce verbe conquérir quand il n'est pas à l'indicatif.
Bref, je voulais profiter de ce dimanche bucolique et ne pas me faire casser les burnes par qui que ce soit.
Las, une demoiselle m'aborde malgré tout. J'ai commis l'erreur de croiser son regard. Toujours regarder par terre ou dans le vague, cela permet d'éviter la confrontation 9 fois sur 10. Cette technique est également suivie par des millions de cancres tout au long de leur scolarité.
Très jolie, des yeux de biche, je la sentais vibrante d'engagement désintéressé. La cause: le Sida. Elle me proposait de contribuer mensuellement, par prélèvement banquaire (le principe des dons se modernise), à l'éradication de ce méchant virus qui fait des morts, même parmi mes proches sans doute, puisqu'il y a 7000 nouveaux cas par an en France et 1 mort par jour (je n'écoutais que distraitement, les chiffres sont peut-être absurdes).
Après l'avoir laissée déblatérer son petit speech, je lui ai tenu à peu près ce langage "je m'en fous. Je suis un gros connard égoïste et je m'en fous. Donc je ne m'engage pas personnellement, et mieux, je ne soutiens aucun engagement: contre le CPE, contre la guerre, contre la faim dans le monde, contre l'intolérance, contre le racisme, contre le SIDA, contre la mort, contre la connerie, contre Harry Potter, pour la paix dans le monde, pour le bonheur, pour plus d'argent à la fin du mois, JE M'EN FOUS."
"Mais comment feraient les associations s'il n'y avait que des gens comme vous?"
"S'il n'y avait que des gens comme moi, il n'y aurait PAS d'associations. Malheureusement, il y a des gens qui ne sont pas comme moi et qui ont besoin d'avoir un but et de penser qu'ils servent à quelque chose pour se sentir exister. Je respecte ça, mais je ne suis pas comme ça. Moi je ne sers à rien, je l'assume pleinement. Ca ne veut pas dire que je n'ai pas d'opinions, que je ne suis pas révolté par la bêtise humaine ou le dernier Besson, que je ne réfléchis pas avec la même acuité que n'importe quel crétin de jeune qui va à manifester à tout bout de champ, mais je pense que la vie est assez brêve et que j'ai d'autres priorités à accomplir que la quête inutile consistant à sauver le monde: ainsi je ne m'occupe que de moi, je ne demande rien à personne et tout ce que je demande c'est qu'on ne me demande rien. Bref, comme il n'y a pas que des gens comme moi, il y a des associations, et donc je leur conseille de s'adresser à des gens qui ne sont pas comme moi et surtout de ne pas m'emmerder le dimanche, surtout quand je n'ai rien à faire."
"Sur ce, bon week-end, alors". La peine se lisait sur son visage. Si encore j'avais été vieux, mais là, un djeun's présumé cool, l'écharpe et les cheveux au vent. Où va le monde?
"Vous aussi".
Malheureusement, ceci est légèrement romancé. Je ne suis pas très réactif, dans ce sens où les mots que je voudrais dire, dans une situation donnée, ne me viennent qu'après coup. Donc, notre conversation s'est limitée à quelques mots, qui ont suffi à lui faire comprendre que je n'étais qu'un gros connard égoïste qui préférait garder sa thune pour aller se saoûler, ce qui était, de toute manière, l'argument majeur que je souhaitais lui faire passer.