Bien que lisant beaucoup, je fais généralement assez peu de réclame pour les ouvrages que je lis.
C'est en partie du au fait, que, comme tel personnage d'un roman - que je ne recommanderai pas - terminé assez récemment, parce que j'ai toujours beaucoup de mal a accepter les conseils littéraires qu'on peut me donner. Je n'ai aucune explication a la chose, mais il s'avere que lorsqu'on me recommande un bouquin, ou lorsqu'on m'en offre (sauf cas particulier ou j'ai agrée l'achat), s'opere un blocage psychologique qui m'empeche de lire le-dit bouquin pendant un laps de temps conséquent. J'ai besoin de découvrir moi-meme romans ou écrivains, que ce soit en flanant dans une librairie, ou par le biais d'autres lectures (oui, quand c'est un écrivain que j'aime bien qui en recommande un autre dans un texte que je lis, la ça ne me dérange pas).
Du coup, charité bien ordonnée commençant par soi-meme, j'évite de faire aux autres ce que je n'aime pas qu'ils me fassent. Toutefois, comme la littérature est une de mes passions, qu'il est difficile de ne jamais évoquer ses passions, et que je suis un peu aussi un petit vaniteux qui aime bien étaler sa maigre culture, il m'arrive de déroger a cette regle, comme mes 5 fideles lecteurs ont pu le constater en ces pages. Surtout s'il ne s'agit pas d'un roman. Les essais de tous genres sont des lectures plus "immédiates", ou moins intemporelles, qui ne rentrent pas dans le schéma de culture globale que j'essaie de me construire.
Ainsi, aujourd'hui, je vais évoquer un ouvrage de Marc-Vincent Howlett, "Triomphe de la vulgarité". C'est un ouvrage assez court, qui se situe aux frontieres entre le traité philosophique, l'analyse politique, et le pamphlet. Howlett est un agrégé de philo, qui a aussi donné dans la psychanalyse et l'anthropologie, themes abordés dans l'essai.
Plutot qu'un long discours, je vais procéder a quelques citations: quelques passages m'ont particulierement interpelé, du coup autant vous les faire partager si j'arrive a les retrouver. Et puis ça pourra toujours me resservir plus tard, qui sait.
Sachez juste que ce livre parle de l'élection de Nicolas Sarkozy et de ses premiers mois de mandat (avec un titre pareil on s'en serait douté), et qu'au-dela il propose une analyse de la société française contemporaine. Je n'approuve pas tout (notamment sa conception de la défaite de Segolene Royal), et certains passages m'ont semblé un brin abscons* (l'analyse de Mai 68), mais dans l'ensemble la réflexion est intéressante, bien documentée et a mon gout plutot lucide, l'engagement politique n'otant pas tout objectivite a l'auteur. Bien sur, si idéologiquement vous vous situez dans les memes eaux que la frange dure des Républicains, ça vous semblera un monceau de conneries. Mais j'ai dans l'idée que si tel est le cas, vous n'etes de toute façon pas un grand lecteur de pamphlets politiques (ni de quoi que ce soit d'ailleurs). La probabilité que vous tombiez dessus (et probablement sur mon blog) restera donc assez mince.
Ceci étant dit, les citations promises:
- Les vertus de l'argent, la haine de l'étranger, le mépris pour les fonctionnaires et le savoir (et plus particulierement pour tous les intellectuels), la paranoïa sécuritaire, la haine des effets de la misere et son déni, la distance avec le peuple, l'opprobre jeté sur les assistés, l'autre considéré comme fainéant, profiteur, etc: ces passions politiques peuvent avoir leur origine dans le propre de la condition humaine. Mais toutes, quand elles sont habilement gérées par les politiques, nous conduisent au pire: le fascisme en période de grave crise démocratique, et la vulgarité dans les moments de la médiocratie démocratique.
- "Au fond, ce qu'on sent aujourd'hui a la vue du travail, c'est qu'un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend a entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du gout de l'indépendance. Ainsi une société ou l'on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité: et l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité supreme." Nietzsche, Aurore (1881, tout de meme...)
- "Nous ethnologues et anthropologues, dont la discipline a vocation comparative fonde son corpus de connaissances sur les questions de l'altérité et de l'identité, tenons a affirmer que la notion d'identité nationale ne saurait avoir de validité scientifique. Elle est une construction sociale imaginaire, qui, sous couvert d'unité, tend a renforcer les divisions, les discriminations et les inégalités. A travers le monde et les époques, les exemples que nous observons montrent que lorsque l'Etat s'empare de ce theme, c'est partout une incitation directe au mieux a la xénophobie, au pire a des violences entre groupes d'origine différentes..." Communiqué de l'AFA (association française des anthropologues), mai 2007.
- Il est certain qu'aujourd'hui se dessine la volonté de définir la justice en fonction des victimes, de leur soutien. Dérive fondamentale, des lors que l'on suppose la justice moins comme une réponse a une victime que comme l'affirmation de la nécessité, pour toute société, de penser en termes de collectivité. Or la victime ne peut avoir un regard neutre sur ce qu'elle est en mesure de réclamer: elle demande une solution immédiate, supposée combler la béance que le délit a ouverte. Cette immédiateté pousse le plus souvent a la radicalité, au point meme, puisque nous sommes tous des victimes en puissance, de recourir au seul droit pour désamorcer le danger de nos relations sociales. Comme l'a écrit Michéa, "le droit doit etre conçu comme, d'une part, le cadre général des relations humaines concretes, et d'autre part comme l'ultime instance a laquelle on doit se référer lorsque les différends et les conflits ne peuvent plus etre réglés au niveau primaire de l'existence sociale. Quand par conséquent le droit en vient a fonctionner comme un recours normal, voire préalable - quand en d'autres termes la menace de proces réciproques devient une forme ordinaire de la civilité - on entre alors dans le regne des individus procéduriers et dans la tyrannie du droit".
Voila. Et si ça vous intéresse, c'est aux Editions de l'Olivier pour le prix d'environ deux films sur le mal-etre des trentenaires dans n'importe quel cinéma.
* Il est vrai que, a l'instar de nombre de philosophes, l'auteur emploie frequemment des tournures pour le moins ampoulees, lourdeur grammaticale et jargon philosophique inclus. J'ai parfois l'impression que les philosophes aiment a volontairement complexifier leur discours. J'y vois deux raisons: la premiere c'est qu'ils ne savent pas ecrire, et que du coup ecrire complique ca masque un peu la chose. La seconde, c'est que c'est leur boulot de nous faire adherer a la surpuissance de leur pensee. Du coup, j'imagine qu'une pensee facile a comprendre et exprimee avec des mots simples, ca impressionne moins qu'une pensee qui necessite 25 neologismes par phrase. A la decharge de l'auteur, ayant passe la majorite des cours de philosophie de mon existence a jouer a la bataille navale, je manque aussi de references basiques dans le domaine: c'est bien simple, quand on me parle Descartes, je pense (donc je suis) belote.