Qui choisir le 6 mai?
A notre droite, un ambitieux peu scrupuleux aux dents plus grandes que lui (certainement il faut l'être pour briguer la magistrature suprême, mais ça se voit beaucoup plus chez lui que chez d'autres), représentant tout ce qu'il y a de moins admirable en politique - la gloire personnelle comme seul sacerdoce -, à la vision manichéenne du monde et des gens, exacerbant les sentiments communautaristes par ses prises de position (est-ce la meilleure chose à faire dans une France jusque là "symbole", vacillant certes mais "symbole" tout de même, de mixité socio-culturelle?). Pour schématiser -mais pas tant que ça tant ce monsieur se présente lui-même comme l'apôtre du parlé vrai - d'un côté la France qui se lève tôt, honnête, la majorité silencieuse qui respecte les lois et accepte sa misère, de l'autre les pédophiles génétiques, les racailles bronzées, les immigrés clandestins ou juste immigrés, les chômeurs fainéants ou assistés, et les fraudeurs de métro. Au milieu, la Police.
Un homme qui se présente comme le défenseur de la veuve et de l'orphelin, de la France qui souffre, montrant son émotion à tous les passants à chaque drame social, nous citant Jaurès 27 fois en 62 minutes de discours., mais ami des grands patrons, du showbiz dans ce qu'il a de plus reluisant, bref de la France qui ne se lève pas forcément tôt mais qui en tout cas n'a pas de problèmes de fin de mois.
Un homme au pouvoir ces dix dernières années, numéro 3 du dernier gouvernement, qui parvient (doit-on l'admirer pour cela?) à se poser en candidat de la "rupture" auprès de millions d'électeurs.
Un homme qui est allé chercher les électeurs du Front National un par un en reprenant ses idées une par une.
Un homme à la rhétorique bluffante pour la ménagère de moins de 50 ans, "mais qu'est-ce que vous voulez madame? Vous voulez une France où on viole votre fille dans le métro? Moi ce n'est pas la France dont je rêve". Un homme qui dit tout et son contraire, comme le montre le sociologue Eric Fassin et rend ainsi toute contradiction impossible. ("Car à force de dire tout et l'inverse de tout, Nicolas Sarkozy parvient à son but : on ne sait plus où on en est. On rassure les parents (des jeunes suicidés), déclarés non responsables, et on stigmatise les parents irresponsables (des jeunes délinquants). On dénonce les violences (à la gare du Nord), et on justifie les violences (des marins qui incendient le Parlement de Bretagne). On s'affiche en défenseur des classes populaires, et on redistribue l'argent aux riches. On fait miroiter des régularisations, et on donne en spectacle des expulsions. On se pose en ami des minorités raciales, et l'on couvre les violences policières racistes. On invoque l'identité nationale et ses relents maurrassiens, pour la définir ensuite par l'égalité républicaine entre les sexes. Dans les banlieues, on manipule tour à tour le lexique de la "racaille" et de la "discrimination positive". Et de même sur l'école et le travail, l'islam et la laïcité, l'économie et l'écologie, l'Amérique et l'Europe, bref, sur tous les sujets. En ne respectant jamais le principe de non-contradiction, le candidat rend la contradiction impossible : comment s'opposer à lui quand il dit tout et son contraire ?").
Un homme dont les mesures phares (droit de succession, baisse des prélèvements obligatoires, plein emploi...) ont été démenties par son propre état major quelques jours à peine après leurs annonces, et de fait reportées à 2012 (songerait-il déjà à sa réélection) ou aux calendes grecques.
Un homme affirmant à outrance ses valeurs chrétiennes et n'excluant pas de revenir sur la loi de 1905 dans un pays où la laïcité est une force depuis plus d'un siècle.
Un homme enfin atlantiste qui n'aurait sans doute pas eu la "grandeur" politique (je ne parle pas de la taille) de faire ce qui fit son prédecesseur (que je ne croyais pas regretter).
A notre gauche, une femme (pourquoi le souligner? eh bien, elle en joue autant que ses adversaires) certes belle mais peu charismatique ou à tout le moins manquant d'éloquence naturelle (c'est une litote).
Une candidate de plus plombée par un parti scindé entre une aile sociale-démocrate et une frange relevant de "la vieille orthodoxie socialiste", "la dernière en Europe de l'Ouest" comme le souligne fort justement le Wall Street Journal (Nul n'est prophète en son pays, tant il est vrai qu'on analyse plus justement une situation qui ne nous concerne que très peu). D'où un programme foutoir, au budget intenable, grand écart pour tenter de séduire à la fois les anti-libéraux et les centristes.
Une femme qui semble aussi autoritaire dans ses décisions que son adversaire, vis-à-vis de son état-major tout du moins, et peine à faire cohabiter ces deux franges (qui auraient du se séparer après le referendum sur la Constitution Européenne) pour l'union sacrée, alors que 12 années de chiraquisme ayant laissé la France exsangue, il y avait sans doute un chemin grand ouvert pour une victoire "aisée" des socialistes s'ils avaient opté pour une sociale-démocratie claire et précise. En effet, la mondialisation est sans nul doute criticable, mais la France ne s'en sortira pas en se battant seule contre le reste du Monde, ce qui semble être le crédo de la frange gauche de la gauche. Par contre, il me semble possible de faire survivre le modèle social français tout en s'adaptant à l'économie de marché. Or, la survie de notre modèle social ne semble pas la priorité du candidat de l'UMP, malgré qu'il en ait.
Personnellement, je voterai à gauche, par attachement à une conception de la societé (et par opposition à une autre vision de la société et à l'homme qui l'incarne) plus que par adhésion sans faille à un parti et sa candidate (sans cet homme, je me serais sans doute abstenu).
Mais, une fois de plus, c'est à l'étranger qu'il faut trouver une conclusion pertinente:
"Une France cassée en deux", titre Le Temps, quotidien suisse. "L'aspect moins positif de ce vote est que la France apparaît profondément divisée. Les scores élevés de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, l'élimination de François Bayrou reflètent une faille souterraine entre deux France, qui ne se parlent guère et ne se comprennent plus. La France qui a voté Royal ne dit pas non à toute réforme, mais rejette l'opération sans anesthésie que semble lui préparer le docteur Sarkozy. L'opposition de leurs projets de société, ostensiblement revendiquée par les vainqueurs, donne l'impression que ces deux France ne vivent plus dans le même monde. Cela promet une bataille épique en vue du second tour. Et quelques difficultés pour le prochain président, ou la prochaine présidente, qui aura la lourde tâche de faire avancer un pays coupé en deux (effectivement à mon sens bien plus que lors des précédents duels droite-gauche: comme le souligne le Temps, cela est dû à une opposition de projets de société -qui a toujours existé mais qui est exacerbée par le sentiment ressenti assez généralement d'un déclin de la France et des conditions de vie- et, sans doute également par la personnalité du candidat de droite et son programme clairement plus "musclé" que ce à quoi les "gaullistes" nous avaient jusque là habitué, NdMix)."
PS: juste parce que j'y ai pensé dimanche, ce qui ne veut pas dire que c'est très constructif, tiré de Renaud, Hexagone, une chanson qu'elle est bien -c'était du temps de société tu m'auras pas mais malheureusement depuis elle l'a eu-:
"j'me souviens surtout d'ces moutons,
s'en allant voter par millions
pour l'ordre et la sécurité."