Le Malin a encore frappé. Depuis l'Inquisition, depuis Michel Sardou, on n'avait pas inventé d'instrument de torture aussi raffiné. La hotline, ce "service après-vente téléphonique", ferait passer le pal, l'écartèlement, le versement de plomb fondu sur les tripes, les lacs du connemara et tant d'autres supplices pourtant renommés pour de la vulgaire roupie de sansonnet.
Prenons l'exemple du fournisseur d'accès lambda et de l'utilisateur non moins lambda.
Par la magie de la concurrence, désormais, on peut, par un seul boîtier, avoir le téléphone, l'ADSL 20 mégas, 550 chaînes de télévision aussi passionnantes que Motor TV, la technologie wi-fi, et une option four micro-ondes.
C'est bien.
L'inconvénient, c'est que quand le-dit boîtier, made in Taïwan en plastique recyclé et avec des transistors de récupération dedans, lâche, l'utilisateur lambda se retrouve coupé du monde. Coupé du monde virtuel, entendons-nous bien. Mais bon, l'utilisateur lambda n'en profitera pas pour retrouver le monde réel, aller au restaurant, voir des amis. Non. L'utilisateur lambda, il veut voir son Navarro (car , malgré ses 550 chaînes, il continue à ne regarder que TF1).
Alors, le monsieur, il n'a pas d'autre choix que d'appeler la hotline. Pas d'autre choix car les fournisseurs d'accès ne fournissent pas d'accès à un service après-vente fait de vrais gens vrais.
Le numéro d'appel est nécessairement en 089, ce qui coûte 0.35 euros la minute. Pas si cher, me souffle-t-on. Attention au "par minute". Car tout commence toujours par une quinzaine de ces précieuses minutes à donner vos différents codes clients, à préciser en appuyant sur les touches 1,2 ou 3 de votre téléphone si votre problème est d'ordre, petit 1, technique, petit 2, administratif, petit 3, autre problème. Enfin, survient une jolie musique d'attente (type Oxygène de Jean-Michel Jarre) en son dolby, parce que la téléphonie aussi a fait des progrès.
Après trois cigarettes, l'utilisateur est enfin mis en correspondance avec un gentil correspondant. Très aimable, mais malheureusement, il n'a appris le français qu'en seconde langue au lycée. Et le langage des signes pour se faire comprendre, ça ne passe pas trop au téléphone. D'accord, pour le client, ce n'est pas trop pratique, mais pour le fournisseur d'accès, ça côute vachement moins cher de délocaliser sa hotline. Mais bon, en parlant doucement, on finit par y arriver.
Commençant tout d'abord par confirmer les 50 informations qu'il a déjà données pour arriver jusqu'ici, le consommateur expose ensuite son problème. Le correspondant répond en lui demandant s'il ne veut pas changer son abonnement pour la nouvelle formule plus avantageuse, avec 30 mégas et 800 chaînes pour seulement 15 euros de plus par mois. Le gentil utilisateur, déjà vachement moins gentil que 20 minutes auparavant, lui répond que non parce que de toute façon il ne regarde que les chaînes hertziennes, et que 35 mégas pour lire des mails, aller sur les sites de boules et sur lequipe.fr, ça ne changera pas grand chose par rapport à 20.
Le blaireau à l'autre bout du fil explique alors que lui il ne gère pas les problèmes techniques,que le service technique n'est pas joignable pour l'instant, mais que patientez, il va vous mettre en ligne.
Après cinq nouvelles minutes d'attente sur Overdose de Jean-Michel Jarre, la communication est coupée, et la tonalité "occupé" retentit.
Ne pouvant molester à coups de pied dans l'estomac l'enculé de service qui lui a fait ce coup de pute, l'utilisateur s'en prend à sa femme, qui n'a rien fait mais justement. Quelques instants et beaucoup de décibels plus tard, lambda reprend, la main chevrotante, son téléphone...
Pourra-t-il regarder Navarro?
A suivre.