Il y a quelques temps, j'avais recensé certaines catégories de personnes qui me sortaient par les yeux. Les bureaucrates avaient, eux, pour l'ensemble de leurs attentions à mon égard, eu droit à un article personnalisé, et à plusieurs références au fil du temps.
En me relisant, pas grand chose à changer, mais cette liste demande à être complétée.
Il faut dire que, depuis que je suis "en pratique" célibataire, ma sérénité compacte et sans fissures n'est plus ce qu'elle était.
Il y a des gens faits pour le célibat, synonyme d'éclate et d'expériences, sexuelles ou non, sans cesse renouvelées.
Et il y a des gens comme moi pour qui cet état est aussi naturel qu'un ballon de foot dans un aquarium à poulpe. Ayant été seul une partie non négligeable de ma période pubère, j'ai toujours eu l'impression qu'il me manquait un je ne sais quoi, malgré une vie plutôt agréable au jour le jour à pouvoir assez librement côtoyer des gens que j'aime et faire des choses qui me plaisent.
J'ai retrouvé ce manque, encore plus marqué, depuis que je ne vis plus avec Priscilla, qui avait comblé tous mes vides et plus encore.
Bref, en attendant son désormais prochain, j'espère, retour, je suis rentré dans une routine qui, sans être profondément désagréable, a tendance à me rendre un brin morose et irritable. Parce que au fond, quand je suis tout seul chez moi, j'me fais chier. Et donc, les petites vexations et emmerdements du quotidien m'apparaissent en ce moment largement moins supportables qu'en sa présence apaisante.
Tout ça pour dire qu'il y a pas mal de gens qui me gavent en ce moment.
Notamment:
- Ceux qui n'ont aucune notion d'"espace vital".
Je ne parle pas des théories hitlériennes, mais de cette "distance" individuelle, issue de nos instincts primaires, en deça de laquelle on a, plus ou moins consciemment (chez moi c'est très conscient) de se faire "agresser" par l'autre.
Ca a été théorisé par l'anthropologue E.T. Hall, mais l'idée, c'est qu'en gros, il y a une "distance personnelle", d'environ 80 cms, sous laquelle on ne "tolère" que les intimes (il y a d'autres sous-distances, mais je simplifie).
Et c'est pour cette raison entre autres que peu de gens kiffent le métro aux heures de pointe, et que généralement dans ces moments là la personne que vous détestez le plus est celle avec qui vous êtes en contact involontaire, même si ce n'est pas un pervers. Cette promiscuité n'est pas naturelle, vous révulse et vous irrite.
J'ai l'impression qu'à Paris, pas mal de personnes sont probablement plus évoluées que moi et semblent donc insensibles à ces considérations instinctives. Ou alors, elles sont en manque de chaleur humaine: typiquement, ceux qui viennent s'asseoir à côté de vous dans le RER ou au ciné quand celui-ci est vide. Ou encore ceux qui, pour se détendre d'une semaine de promiscuité dans les transports, les magasins, la rue, passent leur dimanche à faire une rando roller dans Paris agglutinés avec 10000 inconnus suants.
Une fois, il y a longtemps, dans une salle obscure d'une capacité de 150 personnes où nous étions facilement 7, une bonne femme est venue se foutre sur le siège à côté du mien, et je ne crois pas que c'était parce qu'elle me trouvait sexy. Ca m'avait pourri mon film, parce que je trouvais que c'était trop ouvertement malpoli, méprisant, de se lever et d'aller plus loin.
Mais maintenant, j'assume d'être un sale connard misanthrope qui apprécie fortement son pré carré. La semaine dernière j'ai donc bien fait comprendre au couple venant empiéter sur mon territoire qu'ils me les brisaient en accompagnant mon décalage d'un soupir irrité. Bizarrement, ça m'a calmé. Cela dit, ils étaient quand même casse-couilles puisque finalement, ils se sont levés 15 minutes après leur arrivée alors que le film venait de commencer, pour aller deux rangs plus bas, faisant ainsi lever une bonne dizaine de personnes.
- Comme le dit une thésarde du labo, ceux "dont on a toujours l'impression qu'ils sont en train de s'excuser de vivre". Ainsi, une stagiaire dans le groupe, qui, à chaque fois qu'elle vous parle, vous fait penser que le ciel vient de lui tomber sur la tête. Moue pathétique, grimace d'excuse, front soucieux, tout le "body language" le plus insupportable. Quand elle demande un truc, on a l'impression qu'elle veut vous emprunter 100000 euros, et quand elle vient s'excuser d'avoir fait une connerie dans ses mesures, on a l'impression qu'elle vient de mettre le feu au labo.
A six mois, c'est mignon. A 25 piges, ça donne envie de cogner.
Elle est probablement pas très à l'aise avec les conventions sociales d'un labo, mais comme c'est poussé à l'extrême et qu'en plus elle n'est pas très dégourdie (en stage de fin d'études de son cycle ingénieur, elle est largement moins indépendante et vive que le stagiaire bénévole de L1 venu en juin), elle a fini par gonfler tout le monde, et pas que moi.
- Ceux pour qui tout dans la vie est d'une complexité apparemment insurmontable.
Typiquement, les personnes infoutues de suivre des indications flêchées ou un mode d'emploi (je ne parle pas de ceux qui ne comprennent pas la langue, ni du cas bien particulier des formulaires de la sécu), ou qui te demandent de l'aide, une explication mais attendent en fait surtout que tu fasses le truc à leur place.
Ainsi un exemple avec la stagiaire (qui cumule donc bien des qualités), totalement affolée à l'idée qu'il n'y avait plus de bus et qu'elle allait devoir aller à pied à l'arrêt de RER, parce qu'elle ne connaissait pas le chemin. Bon, déjà, en 5 ans sur le plateau on aurait pu espérer qu'elle avait déjà été confrontée à un problème similaire, et penser à consulter google maps.
Mais c'est pas grave, rien de plus simple, je lui explique: tu rentres dans le parking qui est en face de l'entrée du bâtiment et tu rejoins la petite route en contrebas dudit parking. Cette petite route descend, tu suis la plus grande pente, jusqu'à ce que tu ne puisse plus (en gros, quand la route finit et qu'il y a une maison face à toi). Alors tu prends à droite, et l'arrêt est à 200m. 10 minutes de marche, presque toujours tout droit.
Après avoir répété l'explication trois fois, comme j'ai senti que le vide grandissait dans son regard déjà naturellement bovin, j'ai offert (en le regrettant avant même de le proposer, parce que je savais que ce serait un grand moment de solitude) de l'accompagner vu que j'allais pas trop tarder moi-même.
Une fois sur le chemin, elle m'avoue qu'elle n'avait pas compris et aurait sans doute pris la mauvaise route, c'est à dire la nationale qui longe le parking, entre celui-ci et le bâtiment. Bref, rien à voir avec "la petite route en contrebas du parking". Assez bouillant, je lui explique qu'au pire, à 17h30, elle n'a qu'à suivre le mouvement, puisqu'a priori les 20 mecs qui sortent des bâtiments à cette heure là et nous suivent ou nous précèdent ont de bonnes chances d'aller au RER. Elle hésite avant de me répondre qu'ils vont peut-être chercher leur bagnole. "MAIS LE PARKING EST DERRIERE NOUS PUTAIN!!!!!" "Le parking est derrière nous, presque vide, à 20m de l'entrée du bâtiment, et on est sur un chemin vicinal avec une pente de 20% à 500m du labo. Est-ce que ce que tu dis te semble logique?".
Joie, bonheur, nous sommes allés ensemble jusqu'à Denfert.
Depuis, elle a tendance à aller voir d'autres gens, cumulant l'excuse perpétuelle et l'incapacité à prendre des initiatives.
Dernièrement, j'ai, dans le genre, vu une petite vieille (même pas si vieille) à la Poste qui s'est déclarée incapable de comprendre comment marchait la machine pour peser sans avoir même essayé (de lire les indications sur l'écran). Elle a préféré attendre en pleurnichant dans la queue de 27 personnes (pour ne pas changer, la petite vieille se déplace aux heures de pointe) pour acheter ses deux timbres, jusqu'à ce qu'une gentille jeune fille pas blasée ne l'aide. Il y a les mêmes aux bornes Air France, par exemple.
Alors, des fois, je suis de bonne humeur et je fais une bonne action, mais souvent c'est plutôt C'est arrivé près de chez vous qui me revient à l'esprit.
- En addendum à ma petite diatribe sur les malpolis et ceux qui répondent pas aux mails (voir chronique précédente), une mention spéciale aux gens incapables de dire "merci". C'est déjà insupportable au quotidien, quand par exemple on tient une porte ou cède sa place, ça l'est encore plus quand on reçoit un mail de deux lignes sollicitant un service qui va vous demander deux heures, mais jamais de deuxième message d'une ligne signifiant "merci gars". Trop occupé, sans doute.
- Et puis, pour finir, as usual, un petit mot sur les lourdeurs administratives. La ce ne sont pas des personnes en particulier, plutôt un système.
Ce système qui fait que par exemple, pour disposer un badge permettant d'entrée dans le labo au mois d'août, il faut une demande signée du chef d'équipe à la directrice du labo, une validation de celle-ci ou de sa secrétaire, avant que le badge n'arrive deux semaines plus tard dans le bureau du service logistique, lequel vous prévient par mail. Ne reste ensuite plus qu'à réussir à le trouver aux heures auxquelles il travaille (pas facile), pour signer le reçu et récupérer l'objet. Et si vous avez oublié de récupérer votre badge, comme tous les maillons de la chaîne sont en vacances, bonne chance. Parce que l'avoir laissé au remplaçant, ç'aurait été trop simple.
Ce système qui fait que, pour le reclassement salarial MdC dont bénéficient les nouveaux recrutés en fonction de leurs années d'ancienneté, il faille fournir la preuve que tu as bien été docteur-moniteur, ces preuves n'ayant bien sûr pas déjà été jointes au dossier de candidature avant l'audition. D'ailleurs, pour rire, ils ne demandent pas les mêmes (le diplôme de doctorat et la lettre du CIES ne suffisent plus, il faut les contrats de travail ainsi qu'une attestation de l'employeur prouvant que tu n'as pas arrêté ton doctorat au milieu. Parce que c'est vrai que si tu as arrêté ton doctorat au milieu, tu es sûrement devenu docteur, et tu as donc pu sans problèmes obtenir le diplôme, la qualif' et passer les concours).
Quant aux contrats étrangers, ils doivent être "traduits par un traducteur assermenté" pour être acceptés...