Visite chez Guy Savoy (Paris 17ème, 18 rue Troyon, à proximité de l'Arc de Triomphe, http://www.guysavoy.com/fr, fermé dimanche, lundi et au déjeuner le samedi, 3* Michelin depuis 2002) un vendredi midi pour mon anniversaire, en réservant par Internet la formule spéciale pauvre "découverte" à 110 euros*.
Nous arrivons à 12h pile. L'entrée est sobre, et la déco intérieure en bois foncé ambiance vaguement japonisante (enfin c'est ce que je dis dès que je vois du bois partout et un côté zen-épuré, je ne suis jamais allé au Japon) qui me rappelle le Bernardin. Il y a si je ne me trompe pas 3 salles (peut-être 2) comptant chacune une quinzaine de couverts, et en face dans la rue les salons privés pour groupes.
Parce qu'on est de bonne humeur et qu'on ne compte pas (trop) ce jour là, on accepte la petite coupe de champagne cuvée Guy Savoy pour commencer, qui ira avec une gentille mise en bouche au foie gras (avec du rab).
Il y a du choix dans la carte, 6 ou 7 entrées, 4-5 poissons et autant de viandes, 6-7 desserts. Les plats au caviar sur la "vraie carte" ne sont pas accessibles, mais il y a de beaux produits et même de la truffe. C'est déjà dur de choisir, on a presque peur de se planter...
Je ne vais pas détailler chaque plat, mais donner une impression générale, car il est difficile de trouver des mots sans se répéter quand un moment a dans sa globalité été presque parfait.
La cuisine de Savoy m'a simplement parlé, un peu dans la veine du Bernardin encore (de façon amusante, le Bernardin a "émigré" à NYC au milieu des années 80 mais était auparavant au 18 rue Troyon avant G. Savoy...).
C'est une cuisine "sans fioritures": cela ne veut pas dire que c'est simpliste même simple, mais qu'il y a généralement peu d'ingrédients dans un plat, et qu'ils ont tous un rôle majeur et qui semble optimisé au microgramme près. Tout paraît évident, c'est délicieux simplement, et il n'y a pas besoin de se prendre le chou pour comprendre ce que le chef a voulu faire ou exprimer (contrairement à l'Astrance, à mon goût). On oscille entre l'exceptionnel et l'excellent, que la recette fasse "classique haut de gamme" (la soupe d'artichaut) ou plus "moderne" (Saumon figé sur la glace, consommé brulant citronelle, perles de citrons - on retrouve comme chez Troisgros, où Savoy est passé, beaucoup d'acidité dans les plats de poissons, ce que j'adore).
Le service est de très haute tenue, ça commence un peu too much quand ils déplient eux-mêmes la serviette pour vous la mettre sur les genoux, mais il y a ensuite une vraie générosité: on nous propose de prendre deux demi-entrées si on veut goûter le "signature dish" (la soupe d'artichaut à la truffe et au parmesan, une tuerie). Après mon refus, ils m'apportent quand même une petite brioche accompagnant la soupe "pour goûter", ils insistent pour qu'on goûte de tout dans le chariot de desserts, etc. G. Savoy est présent et vient saluer les convives et leur demander si tout va bien en début et en fin de service.
Bref, plein de petites attentions que j'adore dans les vrais endroits au top, où tout client, de l'universitaire mal fringué au yuppie russe, de celui qui claque 150€ à celui qui en dépense le quadruple, est traité, simplement, comme un roi. Le sommelier est de très bon conseil aussi, jeune et sympa: les vins au verre pour accompagner le menu sont dans une gamme raisonnable (15-20 euros le verre, j'en dirai plus plus bas).
Notre menu quand même:
Aprés un joli amuse-bouche aux asperges avec une crème citronnée et une petite tartelette de saumon, Priscilla a goûté le maquereau mariné-grillé, vinaigre de cerise, gelée de radis rouge et caviar d'aubergines grillées, magnifique, et donc la soupe d'artichaut à la truffe noire et parmesan, brioche feuilletée aux truffes et beurre de truffe, parfait dosage de la truffe et de la lamelle de parmesan sur laquelle elle repose (deux premières photos ci-dessus).
On lui servira pour accompagner un Crozes Hermitage 2010 Cuvée Laurent Combier, qui m'a vraiment scotché par ses subtiles notes florales.
Pour ma part, j'opte pour le superbe (esthétiquement et gustativement, photo en bas à gauche) Merlan de ligne aux oeufs de saumon, langoustines comme un tartare, petite gelée aux citrons, avec un Riesling 2008 le Dragon, Domaine Josmeyer.
Ensuite, pour Priscilla, le printemps avec du veau** (filet mignon, poitrine braisée, petite galette de pieds de veau, avec des asperges), accompagné du Hautes-Côtes de Nuits "Les Dames Huguette" 2009, Domaine Dufouleur, que j'ai trouvé un poil trop boisé.
Pour moi, le saumon dont je parle plus haut, tout un spectacle. Un chef vient "cuire" le saumon, ou plutôt sa surface, devant vous sur la carboglace. Il est ensuite immergé dans un bouillon brûlant et servi dans une assiette très chaude, avec du chou pak-choi et du citron caviar (un citron fait de petites graines, comme de la grenade, très acides), déjà présent dans mon entrée. La préparation met en joie, on devient presque comme un gamin tremblant devant ses cadeaux de Noël avant qu'on l'autorise à les ouvrir, et cette impatience qui grandit gâche presque la dégustation, comme si on en attendait trop.
Servi avec un autre vin très convaincant, le vin de table de France "Barbarossa" Domaine Comte Abbatucci, corse, pour un bel accord sur l'acidité.
Après trois petites bouchées en pré-dessert (dont une framboise fourrée à l'avocat),
Priscilla opte pour le rhubarbe et fleurs au jus vanillé, autre "oeuvre d'art" (photo en bas à droite), et moi pour le "coco", peut-être la légère déception du repas, mon palais étant plus habitué au goût musclé des desserts "asiatiques" pour parisiens branchés qu'à la subtilité de l'eau de coco en granité. Pour accompagner, elle aura du Vouvray Moelleux 2009, Domaine de la Taille aux Loups, Jacky Blot, et moi un surprenant Jurançan Moëlleux "Cuvée de Marie Kattalin" 2007, Domaine de Souch, aux arômes lactés impressionnants.
Pour les mignardises, le coup de grâce puisqu'il s'agit du chariot de glaces, sorbets, bocaux et biscuits d'autrefois, où encore une fois comme un gamin dans un magasin de jouets on pioche sans vouloir s'arrêter sous l'oeil bienveillant du maître d'hôtel.
Ce type de chariot, qu'on retrouve apparemment chez Bocuse et au Coquillage de Roellinger, est je trouve une super idée: je n'ai pas vu un client ne pas sourire et avoir les yeux qui brillent quand le chariot arrive devant la table...
Bref, avec la café, notre table est plus remplie qu'au moment du repas (glaces, macarons, guimauves, mousse au chocolat, clafoutis, etc etc), comme le montre la photo gargantuesque ci-dessous, mais nous en venons à bout...
L'addition passe comme une fleur***, payée en majorité par le virement de remboursement d'EDF qui a surestimé pendant 1 an notre facture de pas loin de 40%, et nous rentrons chez nous par une belle journée de début d'été.
J'en ai tellement parlé à un copain qui avait du annuler au Plaza Athénée qu'il a changé d'avis quand il a reréservé pour aller chez Savoy; il a adoré lui aussi...
Prochaine étape en septembre à Paris, au Pré Catelan ou à l'Arpege probablement...
* soi-disant, "une seule table pour deux" réservée pour cette formule, genre le cadeau rare pour amateur éclairé. En fait je pense que c'est modulable selon le degré de remplissage du restaurant (nous n'étions pas les seuls ce jour là à en profiter, j'en suis presque sûr). Bref, j'avais réservé 1 mois à l'avance, mais un collègue a eu une table avec un créneau d'une semaine. Il faut dire que les plats à la carte ou les menus dégustation classiques sont à des niveaux de prix stratosphériques (comptez 300€ sans le vin).
* décrit par le serveur à qui on demandait plus de détails comme "le veau dans tous ses états". Il nous a refait le coup avec le dessert "texture de fraises": je sais pas si les expressions Top Chef ont pénétré jusque dans les 3 étoiles ou si c'est juste nous qui avions la dégaine de fans de Lignac...
*** quelques mots sur les vins tout de même: on se fait découper. La bouteille de L. Combier est autour de 14 euros chez le caviste, elle est à 68 euros chez Savoy, et le verre à 16 (si je me souviens bien), soit un bon facteur 7-8 par rapport au producteur pour la bouteille, et pas loin de 10 au verre.
Bon, les accords sont au top et le sommelier très cultivé, mais ça me fait penser à Nossiter qui conchiait Robuchon sur le sujet dans le Goût et le Pouvoir...
Disons que ça ne me dérange pas dans la mesure où je pense que Savoy ne gagne (presque) rien avec son menu à 110 euros, même si ça l'aide à remplir sa salle. Pour 200 euros tout compris (menu + coupe de champ' + 3 verres de vin + eau + café), j'ai l'impression d'avoir payé "le juste prix" si tant est que je puisse le définir pour un grand moment qui n'a, par définition, "pas vraiment de prix".
Toutefois, c'est un business model très en vogue en France, et peut-être que si le menu était à 150 et les vins moins chers, il y aurait moins de monde, mais ce n'est pas le meilleur moyen de faire baisser le prix du pinard au resto. Voir les articles d'Atabula sur la question: http://www.atabula.com/?p=2249
Ah, et puis les toilettes ne sont pas très classes parce qu'il faut bien pinailler.