Chaque année, fin février, le nouveau Guide Rouge paraît.
Et chaque année, sans parler des restaurateurs qui affirment s'en foutre mais que ça fait transpirer, c'est le même raout de chroniqueurs, blogueurs, guides concurrents autour de la sortie de Bibendum.
Avant la parution, il y a les pronostics, avec pages facebook dédiées... ou F. Simon qui se fait la tournée des grands ducs des 2 étoiles pour se demander s'ils n'en vaudraient pas trois (n'oublions pas qu'il ne connaît pas les critères appliquées, mais bon, qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour ses lecteurs).
Le jour de la parution, c'est à celui qui recopiera le pdf annonçant promotions et déclassements le plus vite sur son blog ou site.
C'est ensuite à celui, critique confirmé, wannabe ou même simple amateur, qui se targuera d'avoir fait les meilleures prédictions (bientôt des paris en ligne comme pour le Nobel de littérature?), qui aura la formule la plus acerbe sur le "nouveau millésime": médiocre, frileux (depuis que je suis l'actualité gastronomique, il n'y a pas eu une bonne année du Guide, pour ses contempteurs obsessionnels), qui se fera le héraut de l'oublié (généralement Decoret qui mériterait sa 2ème étoile depuis plusieurs années...) et de l'injustement déchu (Besson qui perdit son étoile l'an dernier), ou au contraire le dénonciateur du protégé (Robuchon, Bocuse, Ducasse, etc), ou qui fera le récit d'un repas médiocre dans une table citée.
Et après, on a les analyses de fond, sur les ventes en berne, la politique expansionniste du Guide, les inspecteurs sous-payés, les enfonçages de portes ouvertes sur le fait que Michelin est une entreprise intéressée par la rentabilité de ses produits, etc.
Bref, le Michelin est nase, passéiste, mourant, voire déjà mort.
Et pourtant, toujours au-delà des chefs qui arborent fièrement leurs étoiles ou se font mousser en les rendant pour les récupérer un an plus tard, tous les "concurrents" se sentent obligés de le ressasser chaque année à la même époque. Aux US où on aime bien la psycho-socio de comptoir, on parlerait de "feeling insecure".
Et il faut dire que ça ne coûte pas cher et que ça permet d'avoir -beaucoup- plus d'audience que d'habitude, ce qui n'est jamais, quoi qu'on en dise, totalement anodin dans les ego blogosphériques (voyez le nombre de commentaires suite à ces articles chez un blogueur lambda et comparez le au nombre moyen...).
Mais c'est aussi parce que, hélas, les blaireaux dans mon genre qui n'achètent qu'un guide tous les 3 ans, se tournent encore vers Bibendum, même si les ventes stagnent.
Et ces mêmes blaireaux de France et d'ailleurs, lorsqu'ils veulent fêter un anniversaire de mariage ou autre chose dans un restaurant gastronomique français, c'est encore dans un étoilé qu'ils choisissent le plus souvent d'aller, et pas dans "le prix interallié du meilleur tapas à la betterave du plus beau cuisinier savamment négligé" du Fooding.
Preuve du mauvais goût de la plèbe, hélas...*
Pour conclure, quand un chroniqueur à la mode écrit à propos du Guide Rouge, je cite: "le Michelin fonctionne sur des critères obsolètes voire opaques hérités dune France de combines, arrangements, services, obédiences,... la liste est longue; Peut être la France tout simplement"; quand il se définit comme "sensible aux savoir-faire comme aux découvertes culinaires, n'ayant pas son pareil pour dénicher un bon produit", un puriste désinteressé "qui n'appartient qu'à lui-même, dont les obsessions du goût le mènent sans autre contrepartie que de les faire partager"; quand ce même chroniqueur parle 11 fois en un an d'un restaurant en commençant six mois avant son ouverture, qu'on l'y a vu en cuisine, qu'il mentionne de façon assez générale toujours les mêmes artisans (boulanger, boucher, ...); là, c'est bien évidemment sans contrepartie, par pur désintéressement, toujours incognito, ce n'est pas un plan comm' et ce n'est pas du tout l'hôpital qui se fout de la charité...
Non, y a pas, la critique gastronomique moderne, c'est vraiment autre chose.
Je crois que je vais aller relancer les ventes du Gros Rouge, moi.
* même les critiques sont souvent contraints d'admettre que dans le très haut de gamme (deux ou trois étoiles), il n'y a que très peu d'erreurs... les débats sans fin sur "machin qui en a deux en vaut trois et réciproquement" n'étant pas, à proprement parler, des erreurs. D'ailleurs, eux aussi fréquentent assidûment ces tables, parce que l'indignation ne va pas jusqu'à se priver de repas à 300 euros, surtout en notes de frais...