Il ne s'agit pas ici d'évoquer une soirée type les Chandelles, mais simplement notre première visite dans un triple étoilé en France, après un dîner mémorable au Bernardin à NYC et un certain nombre de grands chefs et double ou mono étoilés haut de gamme des deux côtés de l'Atlantique (Michel Rostang, Senderens, Robuchon, Piège, le Relais Louis 13, l'Espadon au Ritz, la Grande Cascade...).
Pour fêter un anniversaire, Priscilla et moi-même décidons de sortir le grand jeu, de prendre notre vendredi après-midi, et de passer un moment de luxe et de volupté dans un endroit d'exception. Nous sommes mi-janvier.
Après quelques hésitations, j'opte pour l'Astrance de Pascal Barbot (4 rue Beethoven, 75016 Paris, 01 40 50 84 40, étonamment pas de site web, métro Passy).
L'Astrance a connu une ascension assez fulgurante, obtenant très vite les trois étoiles. Pascal Barbot, ancien élève de Passard, est associé à Christophe Rohat en salle.
Deux raisons principales à ce choix:
- quoique finalement assez discrète, la réputation du restaurant est extrêmement flatteuse. Je n'ai quasiment pas vu de critiques mauvaies voire mitigées, et beaucoup d'excellentes louant l'imagination du chef et la "personnalité" de sa cuisine.
Contrairement aux "multinationales" de l'étoile, type Ramsay, Robuchon ou Ducasse, Barbot a gardé son petit restaurant de 24 couverts, semble tous les jours en cuisine, et n'a pas encore ouvert d'antennes de par le monde.
On peut lui reprocher une collaboration avec Lactalis, mais après tout presque tous les autres le font, et cela reste discret: on ne le voit pas à la télé vanter les mérites de Mir comme Piège ou Marx.
- les prix (désolé d'être bassement terre-à-terre), malgré une inflation régulière, sont relativement raisonnables pour un triple étoilé parisien: menu midi à 120 euros tout compris (80 sans le vin), menu de saison à 200 (120 + 80) et menu Astrance à 320 si je ne m'abuse. Pour tout dire, 200 euros correspond aujourd'hui à la limite haute de ce que je peux accepter de claquer au restaurant pour une grande occasion, et elle correspond généralement au prix du menu seul dans les 3 macs (et hélas, je ne peux pas imaginer ne pas picoler dans ces moments là).
En écrivant ce compte-rendu, je me rends compte qu'il y a eu beaucoup de points communs entre ce repas et celui de Chrisos quasiment deux ans jour pour jour auparavant. Mais à ce moment là, je ne m'étais pas rafraîchi la mémoire en épluchant les compte-rends détaillés et n'avait que les "avis généraux" en tête, donc pas du tout d'idées sur la façon dont le repas allait se dérouler.
Nous arrivons à 12h45, un poil en avance, mais cela ne pose aucun problème.
La salle est petite, avec une sorte de mezzanine accueillant ce jour là une grande table, et une quinzaine de couverts au rez-de-chaussée. La déco est assez passe-partout, c'est so(m)bre et plutôt chic -les pieds de table sont un peu usés-, on ne sent pas dans un "top 50 best of ze world". Priscilla préfère ça à la démesure "so Ritzy", mais mon côté bling-bling qui s'ignore me fait apprécier l'ostentation de temps à autre...
On nous donne la carte, nous refusons un apéritif puisque nous savons que le repas va être arrosé, et on nous laisse réfléchir.
Nous étions plutôt partis pour le menu déjeuner, mais après quelques palabres, nous concluons qu'une fois de temps en temps "au diable l'avarice".
Nous optons donc pour le menu hiver avec accord mets-vins, dont la description quasi-fidèle est donnée ci-dessous.
En amuse-bouches, un palet amande et pomme verte au praliné bien chouette mais dont la touche sucrée fait qu'on l'aurait presque vu en mignardise.
Le chef semble aimer le croquant et l'acidité de la pomme (on la retrouvera plus tard). L'acidité en général sera également un "gimmick" du repas.
La brioche à la truffe est plus classique: la tranche un peu fine a été grillée et a donc peut-être perdu un peu de moëlleux.
La "pré-entrée" est en mode devinette. Après avoir lu d'autres blogs, je me rends compte que c'est un classique mais comme je l'ai dit nous sommes totalement candides.
C'est une soupe de pain grillée: le pain est baigné dans un consommé de volailles et lard, le tout étant ensuite passé. Je suis content, je trouve le pain grillé et le lard. Visuellement, cela ressemble à un café au lait mousseux.
C'est amusant et surprenant, mais on ne peut pas dire que ça soit franchement bon: pudiquement, on dira que c'est "intéressant".
Le premier véritable plat est un autre "signature dish" de la maison, oublié dans le menu ci-dessus: un "millefeuilles" champignons de Paris, foie gras, pomme.
Visuellement, c'est superbe, mais ce n'est pas très pratique à manger. Les saveurs et textures se marient bien, mais il manque un je ne sais quoi de peps à mon goût pour vraiment décoller, malgré la petite sauce citronnée.
Pour accompagner, on nous a servi un champagne Jacquesson 2002, là aussi visiblement un classique.
La deuxième entrée mèle des belles Saint-Jacques cuites très gentiment, des huîtres tièdes, du beurre d'algue (encore une sauce épaisse, presque caramélisée), un citron confit, de l'herbe à huître. L'huître n'est pas vraiment mon truc, et encore moins cuite. Cela dit, je n'ai aucun problème à déguster, mais j'ai me perds un peu et ait du mal à percevoir l'unité du plat.
La plupart des vins seront servis à l'aveugle, le sommelier revenant en fin de plat pour dévoiler la bouteille et échanger. Pour ce premier verre, nous identifions assez vite le chardonnay. Le vin ne nous semble pas très minéral, plutôt beurré, et donc nous partons sur du Meursault. C'est en fait un Chablis Les Forêts 2007, excellent. Vu notre niveau de connaissances, nous sommes plutôt contents et désormais en confiance mais hélas ne nous doutons pas que notre "heure de gloire" oenologique est déjà passée.
Le premier plat est un turbot vapeur. Le poisson est parfaitement cuit, la chair est joliment nacrée, Doc en aurait probablement fait une syncope. La encore, tout est très épuré mais en même temps l'assemblage des saveurs et textures est complexe, teinté d'influences orientales et toujours marqué par l'acidité.
Le vin qui l'accompagne nous laisse perplexe, car nous trouvons que beaucoup de sucre se dégage au nez, alors que la bouche est on ne peut plus sèche. Nous nous abstenons donc de tenter la chance, il s'agit d'un Graves 1998 dont je n'ai pas noté le domaine. Nous dévoilons malgré tout nos doutes au sommelier et retombons illico au degré zéro de son estime...
Nous passons à la viande blanche avec une poularde les Landes farcie au foie gras. C'est plus riche, plus "accessible" aussi.
Toute proportion gardée, il est amusant de noter que j'avais tenté de cuisiner quelque chose d'assez similaire au réveillon (en me basant sur une recette de B. Doucet de la Régalade).
Le vin servi est encore un blanc, visiblement assez âgé de par sa couleur très foncée. Très minéral: nous misons sur un vieux Sancerre. Nous ne sommes qu'à 250kms du but puisqu'il s'agit d'un Pouilly-Fuissé, millésime 2000, "Aux Chailloux" de J.P. Seve. Le vin est marqué par une vinification en fût de chêne très longue. En fin de bouche, je distingue quelques arômes de truffe et sous-bois qui s'accordent avec le plat mais peut-être suis-je déjà pété? Le sommelier ne dément pas (mais ne crie pas au génie non plus).
Le dernier plat sera du chevreuil pour la fin de la saison du gibier, avec un jus puissant à la truffe, aux canneberges et au désormais presque "classique" (tout au moins dans la haute gastronomie) ail noir, servi avec une aubergine laquée.
On est comme pour la volaille dans quelque chose de plus traditionnel, avec le retour de la touche asiatisante (ail noir, aubergine laquée).
Premier (et dernier) vin rouge du repas: ce sont les épices et la puissance qui nous marquent, nous en déduisons donc bêtement que nous sommes sur de la Syrah et donc un Crozes-Hermitage ou avoisinant. Nous sommes cette fois à 500kms du bonheur, puisqu'il s'agit d'un Pomerol 2001: le sommelier nous explique que le raisonnement se tenait, mais qu'il fallait plutôt identifier le réglisse...
S'en suit une farandole de pré-desserts et desserts, oscillant entre le très bon et le délicieux (tout ce qui était au chocolat, qui me laisse pourtant souvent sceptique, et le petit granité pour digérer), pendant laquelle P. Barbot viendra gentiment saluer la salle.
La vraie bonne idée est la plateau d'excellents fruits frais de saison: rafraîchissant, permettant de terminer sur touche légère. La simplicité a parfois du bon.
Priscilla, en bonne normande, identifie immédiatement le Pineau des Charentes grâce à l'amer caractéristique en fin de bouche. Hélas, à ce stade nous sommes complètement inhibés par notre nullité, et la prolétaire havraise qui sommeille en Priscilla ne croit pas qu'on puisse oser servir du Pineau à l'Astrance. De toute façon, le sommelier ne supporte plus nos divagations non plus et ne nous laisse même pas essayer. C'est un 15 ans d'âge, marqué par le café et à la sucrosité pas trop marquée.
Vient ensuite le moment de la douloureuse: café, eau, etc, tout sera compris dans le prix annoncé du menu, soit 200 euros tout rond. Ce n'est pas grand chose, mais c'est un geste commerçant plus agréable que de se voir rajouter la demi-bouteille d'eau commandée avec le digestif à 25 euros comme à la Grande Cascade.
Puis nous sortons les derniers avec nos voisins, quelques 3h30 après être rentrés, alors que l'on commence déjà à s'affairer pour le service du soir.
Le bilan:
Ce fut un bon voire très bon moment.
Ma chronique a néanmoins peut-être un côté un peu clinique, et ce n'est sans doute pas pour rien. Tous les plats étaient proches de l'excellence, mais il a manqué selon moi ce petit supplément d'âme qui fait les souvenirs indélébiles.
La cuisine de P. Barbot est très technique: certes, les produits sont peu transformés, avec peu ou pas de sauces, mais il y a toujours superposition de beaucoup d'ingrédients, des assemblages complexes, des jeux subtils sur les textures et les saveurs, qui m'ont, je l'avoue, parfois un peu échappés.
C'est en fait très cérébral, jusque dans le dressage, et je trouve donc qu'on est finalement, presqu'à chaque plat, plus dans la réflexion (qu'a-t-il voulu faire?) que dans le plaisir (putain, c'est bon).
Et puis, je suis peut-être trop français: je crois que je vais préférer un repas avec deux trois fulgurances quitte à tolérer des ratés plutôt qu'une quasi-excellence uniforme mais au final un peu trop lisse... peu de plats me marqueront je pense vraiment.
Le service est lui presque parfait, maîtrisant au poil son timing, souriant sans être coincé et disponible pour discuter un peu. La bonhomie du sommelier semblait parfois proche de la condescendance, mais il n'est peut-être pas confronté souvent à la nullité assumée qui nous a caractérisés (nous aurions probablement du faire comme nos voisins, ne rien dire, puis dès qu'étaient prononcés les "c'est un pomerol 2001", opiner en déclamant "oui bien sûr, c'est évident"). Cela dit, nous trouvions que c'était la bonne occasion de nous tester après notre première véritable initiation à la dégustation.
Il y a des cuisines qui nous parlent plus que d'autres: pour la prochaine fois, peut-être faudrait-il plus que j'opte plus pour la "folie" type Gagnaire que pour l'"épure" technique des apôtres de Passard. Ou alors, une cuisine plus "lisible" basée sur 3 ou 4 ingrédients, pas plus.
Mais cela n'ôte rien au fait que c'était une très belle façon de commencer le week-end, prolongée par un retour à pied en passant par l'île aux cygnes.